Rapport Nexus Alpha

L’Alliance Stratégique des Etudiants du Spatial s’est constituée autour des questions de stratégie et vient apporter au secteur spatial le point de vue de la jeunesse, passionnée, novice et candide, fervente de contribuer à son tour. Afin d’ancrer les travaux thématiques des neuf groupes de travail de l’association dans une perspective plus large et cohérente, nous vous proposons ce rapport Nexus Alpha.

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ASTRES au Paris Air Forum 2025 : la jeunesse spatiale prend la parole !

L’Alliance Stratégique des Étudiants du Spatial (ASTRES) est fière d’annoncer sa toute première participation au Paris Air Forum, événement de référence organisé par La Tribune, qui réunit les décideurs et experts des secteurs de l’aéronautique, du spatial, de la défense et de la tech.

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Entretien avec Lisa Wong – Retour sur la soirée “Les jeunes et le spatial” à la Cité de l’Espace

Le 19 mars dernier, la Cité de l’Espace accueillait une soirée dédiée à la vision des jeunes sur l’évolution du spatial. Lisa Wong, responsable du GT Exploration Spatiale et ancienne Secrétaire de l’association ASTRES, y représentait notre collectif. Elle revient pour nous sur les échanges, les enjeux soulevés, et les perspectives à venir.

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La formation au secteur spatial

La France fait partie des premières nations à s’être intéressées à l’aviation et à l’espace. La tradition aérospatiale française a perduré dans le temps, voyant passer de nombreux scientifiques et ingénieurs qui ont travaillé d’arrache-pied pour lui donner la place qu’elle occupe aujourd’hui dans le panorama mondial de ce secteur. Pour entretenir cet élan, des centres de formation doivent garantir aux nouvelles générations un accès direct au monde du spatial, afin qu’elles sachent vers où orienter leurs efforts durant leurs études. Dans ce document, nous allons faire un tour de table des formations qui donnent accès aux métiers de l’aérospatial, en tentant d’évaluer les performances des établissements et en donnant des pistes pour améliorer l’attractivité de ces formations. Il ne s’agira pas de proposer des changements au cas par cas dans les écoles, mais plutôt de donner une ligne générale à prendre en compte pour aider les jeunes étudiants à entrer par la grande porte dans le monde du spatial, et ainsi façonner l’industrie française de demain.

Les voies d’accès au secteur spatial

Liste des formations spécialisée dans le spatial

S’il existe de nombreuses façons de se faire recruter dans l’industrie spatiale, la “voie royale” reste d’intégrer une formation (Grande École, Université ou formation professionnelle) en lien direct avec cette industrie. Les établissements spécialisés offrent en effet aux étudiants la possibilité de se construire un réseau professionnel pendant les études; discussions avec un professeur, participation à des événements ou contact avec des camarades, c’est en grande partie de cette manière que l’on finit par se faire recruter aujourd’hui.Le site Internet de l’ISSAT1 – Institut au Service du Spatial, de ses Applications et Technologie répertorie chaque année en son sein 174 formations sur le sol français. En collaboration avec le CNES, il aide les jeunes étudiants qui souhaitent s’orienter vers ce milieu à choisir consciencieusement leur cursus scolaire, en fournissant des liens utiles, plaquettes et fiches descriptives que les utilisateurs peuvent suivre2. Parmi ces établissements, on trouve:

  • 54 universités publiques; 
  • 52  Grandes Écoles d’Ingénieur;
  • 4 écoles spécialisées en commerce et marketing;
  • 24 Instituts Universitaires de Technologie, dont un à Kourou;
  • 4 organismes offrant une formation en ligne, dont l’EUSPA – European Union Space Program Agency et l’European Space University for Space and Humanity.

Le classement par région nous révèle que les zones autour de Paris et Toulouse sont les plus “fournies” en termes de formations aérospatiales.

Il existe plusieurs parcours proposés dans des universités de sciences humaines, comme l’UFR “Lettres et sciences humaines” de Rouen: il s’agit dans la quasi-totalité de cours sur l’environnement, la géographie et l’observation de la Terre, qui s’appuient sur les données des satellites artificiels en orbite.

La satisfaction des entreprises

Il existe quelques outils, disponibles en source ouverte, qui peuvent témoigner de l’appréciation globale des entreprises employant des néo-diplômés de la filière spatiale.

Pour la filière scientifique, on trouve le rapport de l’Observatoire des Métiers de l’Air et de l’Espace3, commandé par l’IPSA – Institut Polytechnique des Sciences Avancées et édité périodiquement depuis 2017. Il regroupe en son sein les résultats d’enquêtes anonymes des responsables de plus de 200 entreprises spécialisées dans le secteur aéronautique et aérospatial telles qu’Airbus, Thalès ou Safran. Dans l’édition 2023, la dernière en date, 40% des entreprises estiment que le recrutement d’ingénieurs, de techniciens supérieurs, des opérateurs et des mécaniciens spécialisés va être très important dans les années à venir. De plus, on y apprend que 75% d’entre elles s’estiment satisfaites des élèves ingénieurs embauchés dans tous les domaines proposés; mis à part pour la compétence “Connaissance du monde de l’entreprise”, qui affiche un taux de satisfaction de 67%, tous les paramètres (dont la capacité à s’adapter à l’entreprise et la capacité à s’intégrer dans une équipe) sont considérés satisfaisants à près de 90%, avec un niveau académique jugé “Très satisfaisant” par 33% des entreprises.

En ce qui concerne les cursus non-scientifiques, il est extrêmement difficile d’avoir des données complètes sur le sujet. A ce jour, aucune statistique sur le taux d’employabilité n’est accessible sur le M2 DAST4, bien que la plaquette 2024 donne quelques exemples sur le type d’emploi accessibles après la formation. Sur le réseau social LinkedIn, on peut voir que les anciens élèves se tournent vers les grandes entreprises du secteur (notammentEutelsat, Safran et Thalès), mais également le CNES ou l’ESA. Une bonne partie des étudiants rejoignent un cabinet d’avocat après avoir passé les certifications nécessaires, en particulier pour du conseil dans le droit international5.

Les limites et les problèmes mis en évidence

La surreprésentation des “sciences dures”

On peut s’apercevoir que presque un tiers des formations proposées sont des Grandes Écoles d’Ingénieur: l’École Polytechnique et l’ISAE Supaéro sont les plus convoitées, mais également celles dont l’accès est le plus difficile. Le grand nombre de formations proposées, dont une bonne partie est publique, arrive néanmoins à offrir une alternative à ces établissements d’excellence, permettant à un plus grand nombre d’étudiants l’accès à des Grandes Écoles d’Ingénieur.

Les universités représentent également une bonne voie d’accès à l’industrie spatiale, avec une approche plus tournée vers la recherche et le développement. Elles offrent l’avantage de baigner dans un environnement plus varié, où les formations se rencontrent et se mélangent depuis des siècles, et sont incontestablement moins onéreuses.

Enfin, 35 IUT – Instituts Universitaires de Technologie viennent compléter le cadre des formations aux sciences “dures” avec un accès direct à l’industrie spatiale. Au total, 72 instituts sur 94 sont des institutions à caractère scientifique, technologique, mathématique ou d’ingénierie (les formations “STEM”): il n’y a que 22  instituts de “sciences humaines” qui offrent une formation spécialisée dans le secteur spatial. Il s’agit principalement de cours sur l’environnement, la géographie et l’observation de la Terre, qui s’appuient donc sur les données des satellites artificiels en orbite.

Parmi ces instituts, l’Université de Toulouse Paul-Sabatier et l’Université de Lorraine proposent des cours en médecine aérospatiale (la première en collaboration avec le MEDES, le centre de médecine spatiale de l’ESA, la seconde plus axée sur la médecine aéronautique) aux détenteurs d’un doctorat en médecine (Bac+9)67

L’Université Paris-Saclay, quant à elle, propose le seul Master spécialisé en droit de l’espace, le M2 “Droit des Activités Spatiales et des Télécommunications”. Dépendant de l’IDEST – Institut du Droit de l’Espace et des Télécommunications, il vise à former des experts en droit de l’espace extra-atmosphérique, droit aérien ainsi que du droit du numérique. Comme spécifié sur les plaquettes officielles, cette formation accueille 20 étudiants par an, dont une bonne partie venant d’établissements à l’étranger.

L’absence de propositions pour les DROM-COM

La seule formation proposée dans les territoires ultramarins est l’IUT de Kourou, qui se spécialise dans la formation de techniciens industriels et autres BUT – Bachelors Universitaires de Technologie. Fort de sa proximité avec le Centre Spatial Guyanais, il accueille chaque année plus de 700 étudiants8 au sein de ses formations, majoritairement des étudiants résidents en Guyane Française. Quant aux autres territoires d’outre-mer, aucune formation spécialisée dans le spatial n’est proposée: les ultramarins seront forcés de se déplacer en France métropolitaine pour lancer une carrière dans le domaine spatial.

Les axes d’amélioration proposés

Élargir les possibilités des étudiants en droit, sans renoncer aux diplômes d’excellence

Nous avons pu voir que la seule chance pour un étudiant en droit d’associer ses études au secteur du spatial est de passer par le Master “Droit des Activités Spatiales et du Numérique”, qui n’offre que 20 places par an. Bien qu’il s’agisse d’un choix académique (les formations sélectives existent dans tous les domaines), et qui semble porter de bons résultats aux étudiants qui en sortent (tous semblent avoir une bonne carrière, avec des entrées dans le monde du travail immédiatement après leur diplôme selon LinkedIn), ce système implique que de nombreux élèves sortant de licence, brillants mais non excellents, devront renoncer à leur passion faute de places disponibles. Si une augmentation des places dans ce master ne paraît pas une solution particulièrement pertinente au vu de la nature de la formation, il pourrait être plus efficace d’encourager les grandes facultés de droit à ouvrir des spécialisations à thème spatial en Master. Avoir un plus grand nombre de diplômés en droit spatial permettrait à la France d’augmenter son poids sur les décisions internationales, ne serait-ce qu’en augmentant le nombre de personnes qui s’intéressent et sont en mesure de discuter du sujet.

Exploiter les péculiarités des DROM-COM pour donner plus d’opportunités aux natifs

Les territoires d’outre-mer peuvent donner une grande valeur ajoutée au monde scientifique français: en effet, fort de leurs position géographique souvent éloignée des grandes sources de pollution lumineuses, ils pourraient voir naître des pôles d’enseignement astronomique et d’étude de l’univers, avec la collaboration des observatoires locaux (comme l’Observatoire de Makes, à La Réunion) afin de développer la culture spatiale et scientifique en accord avec les spécificités locales. Cela donnerait aussi à plus d’étudiants le choix de ne pas émigrer en France métropolitaine pour étudier les métiers du spatial, ou de le faire plus tard.

Conclusions

La France et l’Europe se sont données pour ambition de se faire une place sur le plan mondial dans l’exploitation et la colonisation de l’espace. Afin de préparer cet effort, il est indispensable d’introduire les sujets spatiaux dans les programmes académiques des formations en sciences humaines dès maintenant: de l’étude de la psychologie des astronautes aux implications philosophiques d’une colonisation de l’espace extra-atmosphérique, nous devons impérativement éviter un futur dans lequel les sciences “molles” seraient mal préparées à ces nouveaux enjeux, pourtant inévitables dans l’évolution de l’espèce humaine. Une rupture sociale entre ces deux domaines, pourtant complémentaires, caractérisée par une part comprenant les enjeux spatiaux et une part qui n’y est pas sensibilisée, n’aurait comme conséquence que de créer une génération divisée, moins efficace et plus méfiante. La création de parcours académiques dédiés au domaine spatial, toutes spécialités confondues, est à voir dans le cadre de l’évolution de la société: si la France veut se faire une place dans l’économie spatiale de demain, il faut qu’elle donne les moyens à la nouvelle génération de cultiver sa passion pour l’espace (une passion qui est bien présente dans les 18/24 ans, comme le montrent les sondages) sans renoncer à des études de haut niveau.


Sources

  1. ISSAT – Institut au Service du Spatial, de ses Applications et Technologies ↩︎
  2. Catalogue des formations spatiales – Recherche d’organismes ↩︎
  3. IPSA – Observatoire des métiers de l’air et de l’espace 2023 ↩︎
  4. IDEST – Master 2 Droit des activités spatiales et des télécommunications (non mis à jour depuis au moins 2019, se référer au site de l’UPS Paris-Saclay lorsque celui-ci aura été remis en ligne) ↩︎
  5. LinkedIn – M2 Droit des Activités Spatiales et des Télécommunications ↩︎
  6. Capacité de médecine Aérospatiale – Université Toulouse III – Paul Sabatier ↩︎
  7. Médecine aérospatiale | medecine.univ-lorraine.fr ↩︎
  8. Institut Universitaire de Technologie – IUT de Kourou — Université de Guyane ↩︎

Perspectives Spatiales 2025 : enjeux et orientations stratégiques pour l’Europe spatiale

Par Alix Guigné et Florent Delvert

La 13ème édition de Perspectives Spatiales 2025, organisée par le Groupement des Industries Françaises Aéronautiques et Spatiales et Novaspace, s’est tenue le 12 février 2025. Réunissant politiques, industriels, militaires et experts, cette journée a exploré la problématique centrale du futur de l’Europe spatiale face aux transformations géopolitiques et industrielles en cours. L’objectif de l’événement était d’analyser ces défis et d’esquisser des orientations stratégiques pour garantir le leadership européen et l’autonomie stratégique de la filière.

Dès le discours d’ouverture, le ton est donné : « le secteur spatial joue un rôle central dans la dynamique géopolitique contemporaine », rappelle le ministre de l’Enseignement Supérieur et ancien président du CNES Philippe Baptiste. L’arrivée de nouveaux acteurs privés aux côtés de décisions politiques outre-Atlantique a bouleversé la donne, créant à la fois des opportunités technologiques et des incertitudes stratégiques. Cette nouvelle configuration internationale oblige l’Europe à s’interroger sur l’avenir de ses coopérations, y compris avec les États-Unis, et sur les implications pour sa défense et ses partenariats économiques. Car parallèlement, l’espace est devenu omniprésent dans nos sociétés (communications, navigation, observation, etc.), mais cette expansion s’accompagne de nouvelles vulnérabilités. Selon P. Baptiste, l’industrie spatiale européenne fait face à un risque existentiel si elle ne s’adapte pas : elle doit engager une transition profonde, avec une vision à long terme, en veillant à ce que tous les acteurs avancent de concert. Cette nécessité se retrouve tout au long des discussions, où la fragmentation actuelle du secteur européen est régulièrement pointée du doigt comme un frein majeur en vue de la pression mise par les autres puissances spatiales.

Souveraineté et compétitivité : Un équilibre à trouver

La souveraineté spatiale a été soulignée comme un impératif non négociable. L’enjeu principal pour l’Europe est de préserver un accès souverain à l’espace, tout en s’imposant comme un acteur compétitif face aux géants que sont les États-Unis et la Chine. Ariane demeure à ce jour le seul vecteur garantissant un accès autonome de l’Europe à l’espace, là où « céder à la tentation » d’un lanceur étranger compromettrait définitivement cette indépendance. Dans le même esprit, « dépendre aveuglément » d’acteurs extra-européens ferait peser des risques critiques sur sa sécurité.

De son côté, le Commissaire européen Andrius Kubilius a averti de la fragilité de l’Europe spatiale en l’absence d’une stratégie industrielle cohérente, coordonnée et ambitieuse. Plusieurs intervenants ont d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme : Hervé Derrey (PDG de Thales Alenia Space) a rappelé que dès 2024, Philippe Baptiste – alors président du CNES – soulignait déjà le retard pris par l’industrie spatiale européenne dans sa transformation. Un autre enjeu de taille est le décalage d’investissements avec les autres puissances, car l’Europe investit bien moins dans l’espace que les États-Unis ou la Chine – jusqu’à cinq fois moins selon H. Derrey.

Aujourd’hui, Ariane 6 est un jalon essentiel pour garantir notre souveraineté, pourtant certains redoutent que le modèle économique soit fragilisé sans un soutien institutionnel clair. Ces alertes posent une question essentielle : quels sont les besoins réels de l’Europe en matière de lanceurs dans les années à venir si ces Etats continuent de se tourner vers des acteurs étrangers ? Et plus largement, comment garantir son autonomie stratégique dans un environnement aussi concurrentiel ?

Cet écart grandissant met en péril sa compétitivité sur le long terme. Certes, le mouvement du New Space favorise l’innovation et l’agilité, mais il ne se limite pas aux startups. Il concerne également les grands groupes historiques, exigeant ainsi une vision commune et une coordination renforcée des grands programmes et des feuilles de route technologiques pour consolider la position européenne.

Les grandes orientations stratégiques pour l’Europe

Face à ces constats, les intervenants de Perspectives Spatiales 2025 ont esquissé plusieurs pistes d’action pour relever les défis identifiés. Un maître-mot a traversé de nombreux discours: coopération.

Josef Aschbacher, Directeur général de l’ESA, a dressé le bilan 2024 de l’agence et rappelé que les plus grands succès de l’Europe spatiale ont été bâtis sur la coopération entre nations. Le programme Ariane en est l’un des exemples emblématiques. Cette approche demeure plus que jamais d’actualité. Du côté français, Lionel Suchet (CNES) a souligné que l’espace est un outil diplomatique de premier plan et que la France participe à la quasi-totalité des missions aux côtés des grandes agences (NASA, JAXA, etc.), permettant de réaliser des projets qu’aucun pays ne pourrait mener seul. Toutefois, il met en garde contre les risques de dispersion intra-européenne : chaque nation considérant l’espace comme un levier de souveraineté et de croissance, une coordination étroite à tous les niveaux est nécessaire pour assurer une cohérence globale.

La coopétition – coopération entre acteurs européens tout en maintenant une compétition saine – a été présentée comme une voie incontournable pour renforcer le secteur spatial européen face aux nouveaux équilibres mondiaux. Cela implique une meilleure cohésion entre industriels, agences et États européens. La fragmentation actuelle doit être surmontée en faveur d’une approche plus intégrée. Une politique spatiale européenne harmonisée et la création d’un véritable marché intérieur spatial sont les premiers leviers à actionner pour donner aux industriels une visibilité accrue et une taille de marché suffisante.

L’élaboration d’une stratégie européenne de coopération internationale, validée par les États, permettrait d’élargir l’empreinte globale de l’ESA et de l’Europe. Pour y parvenir, il est crucial d’améliorer la collaboration avec les institutions de l’UE tout en prenant en compte la « renationalisation » progressive des politiques spatiales observée dans certains États membres. Plusieurs intervenants ont insisté sur la nécessité d’une clarification des rôles : une Commission européenne définissant une impulsion politique commune et une Agence spatiale européenne (ESA) recentrée sur l’exécution technique des programmes. La réforme du principe de “retour géographique” – qui répartit les activités au nom de l’équité entre pays – a été évoquée afin de privilégier la performance globale et l’émergence de champions industriels intégrés.

Assurer sa souveraineté et son indépendance technologique

L’idée d’inscrire dans la durée une préférence européenne dans les programmes institutionnels a émergé comme une réponse stratégique pour soutenir l’industrie continentale. L’exemple des lanceurs illustre bien cette orientation. Martin Sion (Président exécutif d’ArianeGroup) a réaffirmé le rôle crucial de la coopération européenne pour assurer l’indépendance du continent en matière d’accès à l’espace. Pour y parvenir, il est impératif de pérenniser un modèle économique viable, avec un volume de commandes suffisant et le soutien des institutions.

L’Europe doit également accélérer ses efforts pour rattraper son retard technologique face aux puissances concurrentes. En particulier, le développement des lanceurs réutilisables est un impératif pour garantir une compétitivité durable face à SpaceX et aux nouveaux acteurs du secteur. En parallèle, l’émergence de nouveaux segments technologiques, notamment en matière d’infrastructures orbitales, doit être anticipée pour ne pas être dépendant de puissances extérieures.

Au-delà des lanceurs, l’événement a mis en lumière plusieurs initiatives clés, comme le programme Iris², destiné aux communications sécurisées. Ce projet incarne un nouveau paradigme pour l’Europe spatiale et marque la volonté de l’UE de renforcer son autonomie stratégique. Catherine Kavvada, Director for Secure and Connected Space, Commission européenne, a rappelé que ce programme, développé en seulement neuf mois, repose sur une gouvernance innovante et une approche partenariale public-privé (PPP). Il représente une réponse directe à la montée en puissance des constellations concurrentes comme Starlink.

D’un montant de 10,6 milliards d’euros sur 12 ans, Iris² s’appuie sur trois piliers stratégiques : la souveraineté (infrastructure sécurisée et composants 100% européens, comme l’a souligné l’eurodéputé Christophe Grudler), l’innovation (intégration de la 5G, différenciant Iris² de constellations concurrentes comme Starlink) et la compétitivité industrielle de l’Europe. Assurer une mise en œuvre opérationnel rapide est crucial : il faudra industrialiser le projet sans tarder et fédérer une base d’utilisateurs (États, agences, entreprises) pour en garantir la viabilité économique. Iris² illustre ainsi une orientation clef discutée lors de l’événement : mobiliser l’UE sur des projets structurants, alliant autonomie stratégique et opportunités pour l’industrie.

L’enjeu immédiat est d’industrialiser ce programme sans tarder et de structurer une demande institutionnelle solide pour assurer sa viabilité économique et son rayonnement international. Iris² illustre ainsi une priorité stratégique pour l’UE : mobiliser les ressources européennes sur des projets structurants, alliant autonomie stratégique et compétitivité industrielle.

L’espace, une question de souveraineté mais aussi de sécurité

L’espace n’est plus seulement un outil civil, il devient un territoire stratégique militaire. Le Colonel Sylvain Debarre (NATO Space Centre of Excellence) rappelle que « L’OTAN considère désormais l’espace comme un domaine opérationnel à part entière ». Le domaine spatial étant intrinsèquement dual (civil et militaire), la question de l’avenir des programmes européens orientés défense est également posée comme centrale pour garantir l’autonomie stratégique du continent. Parallèlement, la dépendance grandissante aux services spatiaux pose la question de la résilience : nos infrastructures orbitales doivent pouvoir résister aux aléas (perturbations solaires, déchets en orbite) et aux nouvelles formes de conflits (cyberattaques, brouillages). L’enjeu climatique entre aussi en compte : les programmes d’observation de la Terre, comme Copernicus, jouent un rôle clé dans la sécurité civile et l’anticipation des crises, ce qui renforce l’importance stratégique de disposer de telles infrastructures en propre. Enfin, le contexte géopolitique tendu actuel exacerbe les enjeux de sécurité.

La guerre en Ukraine a illustré le rôle critique des actifs spatiaux sur le champ de bataille : satellites de télécommunication, d’observation et de positionnement ont été mis à contribution pour assurer les communications, le renseignement et la précision des frappes. Elle a également démontré que l’espace lui-même devient un théâtre potentiel d’opérations militaires, comme en témoignent les menaces posées par la cybersécurité.

Durabilité des activités spatiales

Pour Jean-Luc Maria (Exotrail), il existe six défis majeurs pour assurer la durabilité à long terme : mieux connaître et surveiller l’environnement spatial, mettre en place une réglementation internationale harmonisée (pour éviter le dumping réglementaire d’un pays à l’autre), adapter le cadre assurantiel, promouvoir la standardisation technique, développer les technologies d’intervention en orbite (désorbitage, maintenance…) et soutenir les petits acteurs innovants via des politiques publiques volontaristes. Ses pairs ont abondé en ce sens : l’entreprise Aldoria a chiffré l’ampleur de la pollution spatiale et confirmé le potentiel économique des services de surveillance et de gestion du trafic spatial à venir. Isabelle Sourbès-Verger (CNRS) a quant à elle, souligné que si l’Europe peine à rivaliser en termes de part de marché dans le New space, elle peut en revanche aspirer à un rôle de leader réglementaire mondial sur ces questions de durabilité. Elle appelle à un modèle où l’Europe est moteur d’une utilisation responsable et durable de l’espace, évitant de subir un cadre dicté uniquement par d’autres puissances. Les intervenants s’accordent sur le fait que la réglementation ne doit pas brider l’essor d’un marché naissant (comme celui des services en orbite), mais qu’une coordination globale est indispensable pour éviter le chaos et préserver l’espace comme bien commun.

L’élaboration d’un “Space Act” européen a fait consensus comme étant un facteur structurant pour l’avenir, mais questionne sur ces implications dans la compétitivité du secteur. Les industriels se questionnent, à terme, la démarche permettrait réellement d’optimiser les investissements publics et privés à l’échelle européenne et de doter l’Europe d’un cadre compétitif face aux géants internationaux ? À l’image du modèle américain, une législation spatiale européenne est présentée comme pouvant consolider un marché intérieur unifié, harmonisant les règles pour tous les acteurs et évitant les distorsions de concurrence entre pays. Romain Lucken a plaidé pour l’adoption d’une réglementation européenne assortie d’un véritable mécanisme de marché commun s’appliquant uniformément, tout en veillant à mettre à jour en temps réel le droit français (Loi sur les Opérations Spatiales – LOS) pour accompagner l’essor des nouvelles activités en orbite.

En matière de financements, il est apparu que le soutien public demeurera un catalyseur indispensable. La Banque Européenne d’Investissement dispose d’une enveloppe de 8 milliards d’euros dédiée à la sécurité et défense (dont 1 milliard spécifiquement pour le spatial). La banque intervient via des fonds (comme le Fonds Européen d’Investissement) pour soutenir des projets générateurs de revenus – par exemple le développement des nouvelles infrastructures de lancement par ArianeGroup. Ce type de financement, complété par les plans nationaux (tel France 2030) vise à déverrouiller l’investissement privé et à accompagner la montée en puissance des acteurs émergeants. Plusieurs dirigeants de PME innovantes ont souligné le rôle critique de ces soutiens publics. ThrustMe a démontré qu’en sept ans son entreprise avait pu s’imposer à l’international avec une production en série optimisée et une chaîne d’approvisionnement locale, preuve qu’on peut être souverain et compétitif simultanément. Mais elle avertit du risque de monopole dans les lancements et prône la diversification des options (petits lanceurs, lanceurs étrangers si nécessaire) pour garantir l’accès à l’espace en toutes circonstances. Elle insiste également sur l’importance des financements publics français et européens qui ont soutenu son innovation. De même, Sodern a partagé une recette du succès à l’export : investir continuellement en R&D, compter sur des actionnaires engagés et garder une vision à long terme. Grâce à cette stratégie, l’entreprise réalise 70% de son chiffre d’affaires à l’international tout en restant un fournisseur critique pour les grands programmes européens, illustrant la possibilité de conjuguer marché domestique souverain et rayonnement export. L’ensemble de la chaîne de fournisseurs spatiaux française génère d’ailleurs 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel, dont la majeure partie à l’export, grâce à une adaptation constante aux standards européens et à des partenariats stratégiques mondiaux.

En somme, l’Europe doit trouver les bons outils pour favoriser le bon équilibre entre affirmation de son autonomie via des programmes moteurs structurant pour la filière en coopération avec les autres puissances spatiales pour partager les coûts, les risques et les bénéfices de l’exploration et de l’utilisation de l’espace. Le Commissaire européen Andrius Kubilius, chargé de la Défense et de l’Espace, a ainsi délivré un message ambitieux depuis Bruxelles : selon lui, l’Europe doit « prendre sa place » dans la nouvelle économie spatiale qui émerge et l’industrie Française aura un rôle moteur. Les idées et recommandations formulées tout au long de la journée tracent une feuille de route stimulante pour les années à venir. L’Europe spatiale a des défis à relever, mais aussi tous les atouts en main pour y parvenir : une longue tradition de coopération, des réussites techniques incontestables, et surtout une volonté partagée de préparer le futur et de faire de l’espace un moteur de progrès et de fierté pour les citoyens européens.