Une stratégie européenne pour les ressources spatiales

Thomas Delhon

Favoriser une stratégie européenne des Ressources Spatiales

L’exploitation des ressources spatiales, connue sous le nom d’ISRU (in-situ resources utilization), a une longue histoire qui remonte aux missions Apollo. Ces missions ont marqué les premières tentatives de ramener des ressources spatiales sur Terre, avec un total d’environ 382 kilogrammes rapportés sur Terre. Même si l’URSS et plus récemment la Chine ont également extrait et rapporté des échantillons, l’utilisation des ressources spatiales aura davantage d’applications directement dans l’espace, plutôt qu’en les ramenant sur Terre.

Les ressources spatiales disponibles sont diverses, et accessibles sur différents corps célestes. Sur la Lune, par exemple, on trouve des régions constamment plongées dans l’ombre au pôle sud où de l’eau permettant de produire de l’oxygène et de l’hydrogène peut être présente. Le régolithe lunaire, présent sur toute la surface de la Lune, contient des métaux tels que le fer et l’aluminium, ainsi que de l’oxygène exploitable. Ces ressources peuvent être utilisées pour soutenir la vie et faire du ravitaillement en carburant, ainsi que pour la fabrication d’habitats spatiaux. En plus de nécessiter moins d’énergie que les ressources lunaires, certains astéroïdes contiennent également des ressources intéressantes, notamment de l’eau et des métaux. Pouvant être utilisés pour les mêmes raisons que les ressources lunaires. De plus, des métaux rares (métaux platinoïdes notamment) essentiels à l’industrie pouvant être amenés à manquer dans les prochaines décennies, peuvent s’y trouver et y être exploités.

Des tendances récentes ont donné un nouvel élan à l’exploration et à l’exploitation des ressources spatiales. 

La concurrence entre les États-Unis et la Chine pour revenir sur la Lune a accéléré le développement de toute la chaîne de valeur des ressources lunaires car la Lune est considérée pour ces acteurs comme une étape cruciale avant d’atteindre des destinations plus lointaines, telles que Mars.

La possibilité d’extraire et d’utiliser les ressources lunaires faciliterait grandement ces futures missions en ravitaillant en ressources les véhicules spatiaux utilisés. 

Concernant les astéroïdes, des acteurs privés crédibles, tels qu’Origin Space en Chine, ou TransAstra et AstroForge aux Etats-Unis sont apparus ces dernières années et suscitent un intérêt croissant. 

De plus, l’oxygène extrait des astéroïdes nécessitant moins d’énergie que celui de la Lune pour des applications en orbite, il sera moins cher et ainsi davantage convoité pour des missions spatiales lointaines.

Cependant, plusieurs obstacles entravent actuellement l’exploitation des ressources spatiales

Le droit spatial international interdit l’appropriation des ressources spatiales, bien que certains pays aient adopté des lois nationales pour contourner ces contraintes, notamment les États-Unis, la Chine, le Luxembourg et les Émirats arabes unis. Pour les ressources lunaires, se poser et décoller de la Lune nécessitera un stock d’ergols dédié à cette tâche, ainsi que de la logistique développée. En ce qui concerne les astéroïdes, ces derniers ne sont pas encore suffisamment bien connus en termes de propriétés physiques et chimiques, et leur exploitation nécessitera des missions plus longues et des véhicules spatiaux dont les technologies sont encore à développer.

La France et l’Europe ont des enjeux importants dans le domaine des ressources spatiales. Avec le retour de l’humanité sur la Lune prévu d’ici la fin de la décennie et les perspectives d’établissement de bases lunaires, de voyages vers Mars et au-delà, une nouvelle ère de l’exploration spatiale s’ouvre. Jusqu’à présent, l’Europe a été discrète dans ses ambitions d’exploration spatiale habitée, contrairement aux États-Unis et la Chine qui consacrent d’importants budgets à ces initiatives. 

>> Cette exploration spatiale future sera infaisable sans l’utilisation de ressources spatiales, dont on estime les besoins à plusieurs centaines de tonnes par an d’ici 2040 : une simple mission habitée vers la Lune sans cargo nécessitera environ 25 tonnes d’ergols nécessaires à ravitailler. Dans cet objectif, l’Agence spatiale européenne (ESA) prévoit de produire 45 tonnes d’oxygène liquide sur la Lune à partir de 2032.

Si l’Europe et ses états membres ne s’impliquent pas dans ce marché émergent des ressources spatiales via une stratégie commune, elles risquent de perdre leur renommée actuelle et leur présence dans l’espace à long terme, se retrouvant reléguées au second plan derrière la NASA et l’Administration spatiale nationale chinoise (CNSA). 

Par conséquent, il est crucial de favoriser une stratégie européenne des ressources spatiales, de promouvoir la recherche et le développement dans ce domaine, et de mettre en place les lois et les partenariats nécessaires pour assurer la participation active de la France et de l’Europe dans le futur de l’exploitation spatiale.

La Lettre A.STRES : l’Europe et les ressources spatiales

“Nous aussi nous pouvons le faire”

Déclaration de Jacques Blamont, premier directeur scientifique et technique du CNES, le 25 mai 1996.

Le dernier Forum Innovation Défense a mis le spatial à l’honneur tant dans les projets exposés que dans les conférences proposées. Lors de la table ronde “Vol habité/vol autonome européen” un des panélistes a évoqué la nécessité de fédérer les européens au travers du refus d’exploiter les ressources spatiales et a questionné ce qu’apporterait réellement l’autonomie en matière d’exploration spatiale européenne.

Le GT Exploration spatiale d’ASTRES s’est donc saisi de la thématique, afin d’apporter la voix de la jeunesse au débat. 

Alors que la nouvelle course à la Lune est en plein essor et que les américains et chinois mettent en œuvre leurs stratégies respectives pour y parvenir, certains européens ne semblent pas avoir esquissé de stratégie alignée avec la dynamique qu’impulse la nouvelle exploration spatiale. En effet, à l’exception du Luxembourg, il se pourrait que les acteurs européens manquent encore une fois un tournant industriel stratégique majeur. 

En effet, le retour quasi permanent de l’humanité sur la Lune et le voyage habité vers Mars ne se fera sans de lourdes infrastructures. Même si les premières missions Artemis prévoient d’amener depuis la Terre tout équipement nécessaire sur la Lune, le début de la décennie 2030 verra apparaître l’utilisation des ressources déjà présentes sur notre satellite pour rendre les missions plus économiques et durables. Qu’il s’agisse d’impression 3D du régolithe lunaire, de la production d’ergols, ou encore de stockage d’énergie solaire, l’ensemble des ressources présentes sur la Lune permettront d’ici quelques années de développer de nombreuses infrastructures sur place, sans avoir à les envoyer depuis la Terre. 

Le rapport d’information sur l’exploitation des ressources spatiales publié par la Délégation à la prospective du Sénat décrit parfaitement les enjeux et retombées possibles pour l’industrie spatiale européenne. 

  • Tout d’abord, l’exploitation des ressources spatiales serait un effet de levier majeur pour les industries françaises et européennes, tant dans l’encouragement à l’innovation que dans la création de nouveaux marchés. Dans le cas échéant, il ne faudra pas s’étonner de la fuite de certaines entreprises européennes stratégiques vers des états plus conciliants en la matière…
  • De plus, cela pourra donner lieu à des retombées économiques considérables du fait des synergies terrestres possibles (rovers autonomes) et des applications mixtes (Maana Electric et ses panneaux solaires à base de régolithe ou de sable du désert).
  • Souvent oublié, mais l’impact environnemental serait important car combiné à d’autres services (réparation, MCO….), les ressources spatiales permettraient une diminution drastique des lancements aujourd’hui nécessaires depuis la Terre1 en ravitaillant en ergols produits in-situ les atterrisseurs lunaires ou en produisant des infrastructures sur la Lune grâce aux ressources qui s’y trouvent.”

L’Europe en tant que puissance normative pourrait réglementer l’exploitation des ressources spatiales sous l’angle de la durabilité

Comme le rappelle le rapport d’information du Sénat, il est donc urgent de commencer à réfléchir aux modalités d’attribution et d’exploitation de ces ressources. Par exemple en délimitant les “règles d’attribution (licences, quotas, etc.), pouvoirs de contrôle, régime fiscal, assurance, responsabilité, transparence et publicité des données, sécurité, et protection de l’environnement”.

C’est pourquoi, au sein du GT Exploration Spatiale d’ASTRES, nous sommes convaincus qu’une Europe pouvant amener ses propres astronautes sur la Lune en totale souveraineté ne peut se faire sans une stratégie claire et ambitieuse sur l’utilisation des ressources spatiales. C’est dans ce but que nous appelons les acteurs institutionnels et privés français à avancer dans ce sens car dans 50 ans, l’utilisation du régolithe pour les activités lunaires nous paraîtra comme une évidence, au même titre qu’aujourd’hui faire un trajet en voiture équipé de bidons d’essence pour faire le plein plutôt que passer par une station essence nous semble absurde.

A l’aube d’une nouvelle ère d’exploration spatiale, comment la jeunesse française peut-elle souscrire à des renoncements qui n’ont pas été ceux de ses aînés au lendemain de la Seconde guerre mondiale ?

Thomas Delhon et Sabrina Barré pour le GT Exploration Spatiale, 27 novembre 2023. 

  1. A titre de comparaison, la mission Artemis 3 nécessitera l’envoi de près de 20 Starships. (https://spacenews.com/starship-lunar-lander-missions-to-require-nearly-20-launches-nasa-says/) ↩︎