Un Information Sharing and Analysis Center Européen

Clara BOURDON, Elisa BROCHARD, Ny Antsa RABEZANAHARY, Juin 2023

ISAC, Information Sharing and Analysis Center

Nous sommes aujourd’hui confrontés à une situation où les acteurs spatiaux européens ne disposent pas d’une souveraineté et d’une autonomie stratégique pleine et entière en matière de cybersécurité dans le cadre de leurs activités. En effet, les principales plateformes d’échange, de partage d’information et d’analyse en matière de risque cyber pour le domaine spatial ne profitent pas aux acteurs de l’industrie spatiale européenne et échappent au champ d’influence légal et politique des institutions européennes.

Les Information Sharing and Analysis Center (ISAC Space), qui rassemblent des acteurs influents de l’industrie spatiale, tels que les agences gouvernementales, les entreprises, les organisations de recherches et les universités, sont en effet tous hébergés sur le territoire des États-Unis. Cette mainmise américaine est renforcée par le Cloud Act, qui autorise les autorités américaines à accéder aux données stockées par des fournisseurs de services basés aux États-Unis, même si ces données sont situées en dehors du territoire américain.

Pourtant, ces données produites dans les ISAC Space sont cruciales pour la sécurité des infrastructures et des opérations spatiales car ce sont des lieux de coopérations et d’échanges où se développent et se coordonnent les bonnes pratiques en matière de cybersécurité dans l’espace. L’inaccessibilité des acteurs industriels européens aux données de ces centres pose des difficultés importantes pour nos entreprises qui constatent des manques et des besoins flagrants sur le plan de la cybersécurité.

Cependant, comme Thales s’est attelée à le démontrer durant sa démonstration de cyberattaque sur un satellite de l’ESA lors du CYSAT, la cybersécurité s’est imposée rapidement comme un enjeu vital à maîtriser pour les entreprises européennes dans l’exercice de leurs activités spatiales. Il est donc nécessaire d’encourager cette dynamique et de la soutenir par l’intermédiaire de solutions européennes souveraines, solides et autonomes, ce qui passe notamment par la création d’un ISAC européen.

Nos recommandations

Afin de permettre la mise en place d’un équivalent européen de l’ISAC (information sharing and analysis center), à savoir une structure favorisant la collaboration et l’échange d’informations entre les différents pays membres de l’Union Européenne en matière de cybersécurité spatiale, plusieurs points doivent êtres respectés :

  • Premièrement, il est nécessaire de faire preuve d’un engagement politique fort : les pays membres doivent comprendre (et reconnaître) l’importance de l’échanges d’informations et de la cybersécurité. Nous devons renforcer la résilience collective afin d’avoir un engagement en faveur de la coopération et de la création d’un ISAC européen. La Commission européenne ayant dores et déjà évoqué la création d’un tel centre dans sa stratégie spatiale de défense et de sécurité, ASTRES souhaite que les efforts continuent et qu’une vraie stratégie soit mise en place. 
  • La coopération transfrontalière joue également un rôle prédominant dans la construction de ce projet, il est donc important d’impliquer et d’encourager la participation des différents acteurs pertinents, tels que les gouvernements nationaux, les agences de cybersécurité, les entreprises privées, les organisations de recherche et les utilisateurs finaux. La création d’un ISAC européen favorisera la compétitivité des entreprises européennes et nous permettra de tenir davantage têtes aux géants du secteur comme les Etats-Unis (permettant par exemple le rapatriement des données sur le sol européen).
  • De plus, la législation ainsi que la réglementation européenne doivent permettre d’encourager cette démarche de partage d’informations entre les différents acteurs européens, créant des lois claires et simples à mettre en place.
  • Enfin, la mise en place et le bon fonctionnement d’un ISAC à l’échelle européenne doit inévitablement nécessiter un financement adéquat (allouement de fonds collectifs).

Un ISACinformation sharing and analysis center, est un cyber center qui a pour but de faciliter la collaboration et d’améliorer la cyberdéfense d’un secteur. Concernant l’industrie spatiale, il existe le Space ISAC, un ISAC américain auquel toute entreprise européenne peut souscrire mais dont les données sont stockées chez des hébergeurs américains. Ainsi, grâce au Cloud Act, ces informations peuvent être accessibles au gouvernement américain. ASTRES soutient donc la création d’un ISAC d’initiative européenne qui permettrait une souveraineté européenne sur les données liés à la cybersécurité des entreprises de l’industrie spatiale et une amélioration de ses capacités de défense.

La Commission européenne dans sa stratégie spatiale de défense et de sécurité à déjà évoqué l’idée de la création d’un centre. Nous souhaitons donc la mise en place de cette mesure et insistons sur l’importance d’intégrer les acteurs privés de l’industrie spatiale européenne afin qu’ils puissent profiter de cet atout en matière de défense.

L’objectif clé

Donner les clefs à nos entreprises européennes pour devenir des leaders dans l’industrie spatiale

Mieux étudier l’impact des lancements sur l’environnement

Charline Coudry et Damien Baclet, Juin 2023

La régulation des lancements, un signal fort à envoyer au secteur spatial

Entre 2021 et 2022, le nombre de lancements a explosé, augmentant de 28%. Les méga constellations de télécommunication en sont le premier facteur, tractant une multitude d’autres applications en pleine croissance. Dans le même temps, très peu d’études et de normes existent concernant l’impact environnemental du secteur. Les lancements, phase visible de cette chaîne globale d’émissions, n’échappent pas à la règle. 

A l’instar du voisin aéronautique, l’argument de l’infime rôle du secteur dans les émissions mondiales se retrouve régulièrement à propos du spatial. Il est cependant encore plus faux dans ce cas. Même si, en effet, l’impact du spatial sur le climat est infime, environ 10% du secteur aérien, il va connaître une croissance beaucoup plus importante et donc potentiellement rattraper rapidement l’aviation. De plus, cet argument ne prend pas en compte les conséquences sur la biodiversité, catastrophiques à côté des bases de lancements, et pouvant influer à un niveau plus global. Prendre de l’avance en entamant les discussions sur de potentielles régulations est donc un sujet important et actuel.

L’absence de régulations, environnementales ou non, à propos des activités spatiales, se comprend à plusieurs niveaux. Historiquement, l’Espace est un champ militaire, et qui dit activités militaires, dit également absence de normes environnementales. Plus récemment, l’Espace est le théâtre d’une course à la croissance qui n’incite absolument pas à l’atténuation des émissions mais plutôt à l’innovation, la production et l’industrialisation. Enfin, depuis le début du monopole militaire jusqu’au théâtre économique actuel, personne ne connaît réellement l’impact des activités spatiales sur l’environnement. Comment convaincre sans argumentaire scientifique tangible et accepté de tous ? Cette connaissance de ses propres émissions est cruciale pour entraîner de profonds changements.

Réguler le spatial, quantifier son impact est nécessaire, mais par où commencer ? Si une approche systémique est la plus à même de limiter les émissions du secteur, elle ne peut s’appliquer sans des précédents, des régulations pionnières pour créer une dynamique en faveur de la prise en compte de ces enjeux dans les activités spatiales. S’intéresser à l’impact du lancement, c’est envoyer un signal fort à l’ensemble des acteurs du secteur et au grand public. Commencer par réguler ce qui est évident, visible, et qui concerne chaque entreprise du spatial. Même si cela ne suffit évidemment pas, c’est un premier pas nécessaire.

Recommandations

  • Premièrement, de vastes programmes de recherches sont à financer à propos de l’impact du secteur, et particulièrement de la phase de lancement. Si la France a été leader du marché commercial pendant de nombreuses années, une façon de regagner ce leadership et d’en insuffler sa transformation en comprenant mieux les technologies à prioriser. 
  • Deuxièmement, une entité nouvelle doit se constituer afin de porter la régulation des lancements à l’échelle internationale. Rattachée au COPUOS ou indépendante, ce consortium devra être composé de nations, d’entreprises, de scientifiques afin d’aboutir à des résultats de référence à même d’infléchir les programmes de l’industrie du lanceur mondiale. Pour les discussions, s’inspirer des Accords de Paris et du Protocole de Montréal est un bon point de départ pour transposer la norme environnementale aux activités extra-atmosphériques.

Des actions doivent être entreprises dès maintenant pour atténuer les atteintes des activités spatiales sur la biodiversité et le climat. Ces actions engendreront dans le même temps la viabilité de ces activités, dans un monde nouveau où une innovation nocive pour la planète ne doit plus être proposée. 

User du spatial dans la lutte contre le changement climatique

Charline Coudry et Damien Baclet, Juin 2023

Le citoyen, le spatial et le climat

En mai 2023, la NASA dévoilait une vidéo édifiante permettant de visualiser les émissions de CO2 ainsi que leur origine. La mission Orbiting Carbon Observatory-2, parmi tant d’autres, institutionnelles ou commerciales, contribue à la connaissance précise des phénomènes climatiques. Le spatial est ainsi un outil de compréhension indispensable des changements auxquels notre planète fait face et de la responsabilité de l’Homme dans ces processus. Cependant, le grand public ne le perçoit pas toujours comme tel, la qualifiant d’industrie ultra-polluante et de terrain de jeu d’ultra-riches. Ce sentiment populaire peut, s’il persiste et se renforce, mettre en danger l’ensemble du secteur et les bénéfices sociétaux de ce dernier.

ASTRES a réalisé un sondage auprès d’un public non-spécialiste afin d’y cerner la vision du secteur et de ses enjeux. Une injonction régulière était que le spatial était une industrie des plus polluantes. Cela est vrai, des premières actions de régulation sont d’ailleurs nécessaires (voir la proposition “Mieux étudier l’impact des lancements sur l’environnement”). La surreprésentation de cette réponse comparée à la rareté du rôle du secteur dans la lutte contre le réchauffement climatique interroge. 

En 2019, suite à l’initiative du CNES, le Space Climate Observatory est officiellement lancé. Il a pour rôle de contribuer à l’adaptation des territoires par la mutualisation des outils développées par la filière et les données spatiales. Ainsi, il peut entraîner la compréhension par le grand public de l’utilité du spatial dans la crise climatique. La poursuite des efforts concernant la publication et la divulgation de l’apport du spatial pour le climat est nécessaire à travers les informations du Space Climate Observatory. C’est à travers ces actions que le grand public peut prendre conscience que le spatial n’est pas qu’une industrie mais aussi la clé de notre compréhension des changements environnementaux. Cela peut également permettre un nouvel engouement citoyen pour l’Espace au service de la Terre et pas que pour l’exploration lointaine. 

Créer un engouement populaire autour du spatial est primordial pour la dynamique du secteur. Le rêve de l’exploration spatiale est nécessaire pour cela mais ne suffit plus, les citoyens n’y attachant plus la même importance si cela se fait en brûlant notre propre planète. Convaincre que le spatial est un rêve mais surtout une nécessité sur Terre doit être une priorité. Le SCO a tout pour devenir l’ambassadeur de cette mission, à condition qu’il gagne en notoriété.

RTG, l’électricité française de l’espace

par Antoine Chesne, Juin 2023

Une source stable d’énergie pour les missions longues

Les générateurs radioélectriques à radio-isotopes (RTG) produisent de l’électricité à partir de la désintégration naturelle d’un isotope radioactif. En se désintégrant, les atomes émettent de l’énergie sous forme de chaleur, qui est convertie en électricité par effet Seebeck à travers des couples thermoélectriques. Contrairement à un réacteur nucléaire, il n’y a pas de réaction en chaîne.

Les RTG permettent de produire de l’électricité indépendamment de l’environnement extérieur sur de très longues périodes : leur durée de vie dépend de la durée de demi-vie de l’isotope utilisé. Les RTG peuvent ainsi fonctionner de façon stable pendant plusieurs décennies sans ravitaillement, pour maintenir opérationnels les instruments embarqués.

Les RTG conviennent bien aux sondes interplanétaires, aux rovers, et à tout vaisseau devant fonctionner longtemps avec une puissance électrique modérée.En résumé, les RTG correspondent bien à l’adage italien “chi va piano va lontano”.

Le point faible des RTG est leur faible puissance massique (en W/kg), qui limite leur usage. Il n’est pas possible d’alimenter en électricité un vaisseau habité ou un radar actif avec un RTG. L’intérêt pour la propulsion électrique est aussi limité.

La première brique du nucléaire spatial

Les RTG ont été mis au point dans les années 1960, puis adoptés pour les premières missions d’exploration lunaires et interplanétaires. Depuis les sondes Pioneer et Voyager, toutes les sondes allant au-delà de la ceinture d’astéroïdes sont équipées de RTG (à cette distance le flux solaire est insuffisant pour alimenter correctement des panneaux solaires). Les RTG sont aussi prisés pour les atterrisseurs martiens car les panneaux solaires ont tendance à être recouverts de sable lors des tempêtes. Enfin, il est aussi possible d’utiliser des petits RTG à bord d’instruments embarqués : les astronautes du programme Apollo ont ainsi déposé des instruments de mesure sur la Lune dotés de RTG.

Le combustible

Il existe plusieurs isotopes pouvant être utilisés pour faire fonctionner du RTG. Les critères de choix sont la durée de demi-vie, la puissance massique (W/kg), et le niveau de rayonnement émis, pour protéger l’environnement proche on évitera des isotopes émettant un fort rayonnement gamma ou un flux de neutron trop fort par exemple. Les bons candidats sont répertoriés ci-dessous : 

Jusqu’à présent, les sondes spatiales ont utilisé le Plutonium 238, disponible grâce aux programmes d’enrichissement militaire et qui constitue un bon compromis entre sa durée de vie et sa puissance tout en ayant un rayonnement peu dangereux et facile à neutraliser sans alourdir le système.

Une technologie indispensable mais à l’avenir incertain

Avec l’apparition de systèmes robotiques, d’outils de surveillance et de mesure sur la Lune, Mars ou les astéroïdes, les RTG seront indispensables pour assurer sur de longues périodes une fourniture d’électricité stable et sûre.

Mais paradoxalement, leur avenir est compromis par le manque de combustible disponible. Les stocks d’isotopes, principalement produits durant la guerre froide s’amenuisent et ne sont pas renouvelés. A très court terme, Etats-Unis et Russie devraient être en pénurie de Plutonium 238, tandis que les programmes nucléaires des autres pays n’ont pas permis d’en disposer en quantité suffisante.

Sans relancer les programmes nucléaires civils, notamment pour la recherche, l’exploration spatiale risque de ne pas pouvoir compter sur des RTG adaptés au-delà de 2030.

Quelle stratégie pour la France ?

La France, tout comme les autres pays européens, n’a jamais produit de RTG spatiaux. Mais plus que ses voisins, elle dispose de tout le savoir-faire nécessaire grâce à la filière nucléaire (CEA, Orano, TechnicAtome, etc…). A l’heure actuelle, l’ESA privilégie le développement de RTG à l’Americium 241, pouvant être produit facilement et à un coût raisonnable grâce aux usines de retraitement du plutonium (comme Mélox d’Orano à Marcoule). Après un premier programme lancé en 2009 et la validation du concept avec des pastilles tests, il est nécessaire de poursuivre les recherches pour disposer de RTG made in France à l’horizon 2030.

De plus, avec un site de lancement, Kourou, sur le territoire qui réduit la problématique de la prolifération sur Terre, la France doit avoir le leadership dans le domaine des RTG en Europe, en étant une alternative crédible aux Etats-Unis et à la Russie.

Recommandations

Accélérer les projets lancés par l’ESA d’un RTG basé sur l’Américium 241 pour disposer à l’horizon 2030 d’un générateur permettant l’exploration de l’espace lointain et les missions de longue durée à la surface des corps célestes (Lune, Mars…)

Sécuriser la disponibilité de l’Américium 241 en France : grâce à l’usine Mélox de Marcoule, la France est le seul pays d’Europe à pouvoir isoler facilement du Plutonium 241, qui se transforme en Americium 241 après quelques années. La France aura alors à moindre frais un quasi-monopole mondial des RTG une fois les stocks de Pu238 américains et russes épuisés

Alimenter la Lune en énergie

par Inès Llorens et Damien Baclet, Juin 2023

L’alimentation énergétique des appareils et infrastructures présents sur la Lune

La conquête spatiale reprenant sa course effrénée, la Lune redevient l’un des objectifs principaux de l’exploration spatiale. Deux tendances se dessinent : les États-Unis révèlent leur volonté d’installer des astronautes sur la Lune avec le programme Artémis, et la Chine affiche son désir de développer une base lunaire. L’Europe se positionne comme partenaire du Lunar Gateway, programmé par les États-Unis. La planification d’une présence durable sur la Lune est révélée et à terme sur Mars. Cela nécessite le déploiement de solutions énergétiques. Cette orientation soulève un enjeu majeur : l’alimentation énergétique des appareils et infrastructures présents sur la Lune. L’exploitation énergétique lunaire est confrontée à de nombreux défis qu’il est possible de mettre en lumière. Les contraintes liées à l’environnement lunaire constituent une difficulté : la poussière et la nuit lunaire qui correspond à 14 jours solaires (336 heures). Le coût est un obstacle majeur, l’envoi de matériaux sur la Lune étant extrêmement onéreux, une optimisation des matériaux est requise. 1 kilogramme envoyé équivaut à plusieurs centaines de milliers de dollars. 

Trois dimensions principales sont à souligner pour une alimentation énergétique sur la Lune 

La production d’énergie est possible sur notre satellite sous différentes formes. Une production nucléaire serait permise par les petits réacteurs modulaires. La filiale Rolls Royce SMR révèle la stratégie britannique de développer le nucléaire spatial. Par ailleurs, une production solaire est réalisable avec la construction de centrales solaires à la surface lunaire. Maana Electric est un acteur majeur projetant d’utiliser des ressources in situ pour la production de panneaux solaires. Ce projet est déjà en cours sur terre. 

L’emploi de panneaux solaires en orbite est une alternative. Ces-derniers correspondent au Space Solar Based Power. Puis, le stockage de l’énergie doit répondre à la contrainte de la nuit lunaire. Celle-ci entraîne des conditions climatiques difficiles et un gradient extrême de températures pour les matériaux et le moyen de stockage. Un potentiel de développement de batteries existe et commence à être saisi par certains acteurs tels qu’Air Liquid. 

Enfin, l’infrastructure et le transport sont le dernier défi à relever pour un développement énergétique lunaire. Ce transport peut être réalisé par câbles, entraînant la question du transport des matériaux ainsi que leur mise en place malgré les contraintes. Le projet Aurora-Connect a pour but d’élaborer des connecteurs spécifiques résistants à la poussière et sans genre, facilitant leur déploiement. Aussi, la distribution d’énergie sans fil est une autre possibilité avec un transport de l’énergie par ondes électromagnétiques en créant un lunar grid. Les startups EMROD et PowerLight projettent de développer cette technologie fondée sur le beaming. Selon la stratégie de la NASA, la transmission d’énergie sans fil sera adoptée à court et moyen terme, le temps de réaliser des câbles in-situ.

La France doit s’inscrire dans les défis d’énergie sur la Lune et affirmer sa place sur l’échiquier des Accords Artémis. La thématique de l’énergie sur la Lune est cruciale car elle constitue une force pour l’énergie sur Terre puis pour Mars. Les solutions disruptives développées pour la Lune ont un fort potentiel d’application pour la Terre qui nécessite des réponses innovantes.

Il est crucial qu’un signal politique fort soit porté sur les technologies énergétiques lunaires. Une feuille de route doit être dessinée pour donner une vision de la stratégie française et européenne pour l’exploration lunaire. Puis, une régulation de l’exploitation des ressources doit être affirmée, en particulier avec la prépondérance des acteurs commerciaux dans le domaine de l’énergie sur la Lune.

L’énergie solaire depuis l’espace

par Damien Baclet et Inès Llorens, Juin 2023

Space-Based Solar Power, une réalité ?

It was quiet in the officer’s room of Solar Station #5, except for the soft purring of the mighty Beam Director somewhere far below”.“Le silence régnait dans la salle des officiers de la station solaire n° 5, à l’exception du doux ronronnement du puissant Beam Director, quelque part en bas.”

Isaac Asimov

En 1941, dans sa nouvelle Reason, Isaac Asimov imagine une station récoltant l’énergie solaire et la distribuant sur Terre et sur d’autres corps colonisés. 80 ans plus tard, les nations fortes du spatial multiplient les programmes à propos du Space-Based Solar Power et laissent à penser que cette nouvelle serait bien plus qu’une science-fiction. Des panneaux pour récolter l’énergie solaire, des ondes afin de la transporter sur Terre et un réseau d’antennes convertissant le tout en électricité, cela sans le recours aux énergies fossiles dans la phase d’opération. La recette est connue, des études d’un tel concept sont récurrentes à l’échelle de l’histoire du spatial : les crises pétrolières de la décennie 1970, puis la hausse exponentielle de la demande énergétique depuis la fin du siècle dernier ont poussé les agences spatiales et les organismes de défense à en étudier la faisabilité, à commencer par les Etats-Unis, mais pas seulement. 

Quoique techniquement imaginable, la rentabilité économique était alors impensable. L’Advanced Concept Team de l’ESA concluait en 2008 qu’en Europe, la compétitivité d’un tel projet pourrait advenir à partir de 2025. 2025, soit la date où cette même ESA doit statuer sur un investissement pour le développement du SBSP, à la suite des travaux du programme SOLARIS, voté à la dernière ministérielle de 2022.

Deux facteurs expliquent l’emballement actuel à propos des projets de Space-Based Solar Power : la crise énergétique et la baisse du coût de l’accès à l’espace. Si le premier suffit à comprendre que la demande existe, le second est crucial en ce qu’il constituait, il y a encore quelques années, quelques mois, le point de blocage du SBSP. Construire une station solaire requiert plusieurs milliers de tonnes en orbite. A 10000 €/kg dans les années 90, cela ne pouvait être réaliste. Avec un prix de 200-1000 €/kg, cela l’est nettement plus. 

Face à l’essor de tels projets aux quatre coins du globe, quelle doit être l’approche française ? Doit-elle s’inscrire dans une démarche collective européenne ? La spécificité du nucléaire français nous dispense-t-elle d’un tel investissement ? Les externalités spatiales et terrestres d’un tel programme seront-elles majeures ?

Source d’énergie abondante, pilotable et non-fossile, le SBSP est aussi un potentiel vecteur de la souveraineté énergétique européenne. Européenne, voilà qui est rare quand il est question de politique énergétique et encore plus de production. Si ces questions sont à la base même de la création et du développement de l’Union avec la CECA, il n’existe plus de consensus stratégique sur la question, en témoignent les débats sur la taxonomie verte et le nucléaire face au gaz. Un consensus à propos du SBSP peut relancer une dynamique positive entre voisins européens, à condition que l’Union Européenne soutienne le projet au plus tôt.

Certains pourraient avancer que, dotée du nucléaire, la France n’a pas d’intérêt dans ces projets, possédant déjà cette nécessaire baseload décarbonée. Cependant, l’électrification de nombreux secteurs ainsi que la politique française de mix énergétique nécessite différentes sources abondantes. Investir dans une seconde baseload, accompagnant l’éternel conflictuel nucléaire, est une sécurité impérative. De plus, le bénéfice français à tirer du SBSP ne se limite pas à l’électricité produite sur Terre. 

Les externalités sont nombreuses. Le power beaming, ou la transmission d’énergie par ondes micro-ondes, est amené à se développer pour diverses applications, civiles et militaires : localités isolées sur Terre, alimentation en continue des aéronefs, alimentation de bases en orbite ou sur la Lune. Airbus est impliqué dans le développement de la technologie est pourrait devenir un leader du domaine. L’in-orbit servicing and assembly est également nécessaire à tout projet de SBSP et se duplique à de nombreuses applications duales terrestres, orbitales ou lunaires. 

Enfin, un tel projet créerait une forte demande pour un lanceur super-lourd européen, une aubaine pour ArianeGroup ? S’inscrire dans une dynamique européenne de SBSP permettra donc à la France d’assurer sa sécurité énergétique bas-carbone et de tirer des bénéfices technologiques, stratégiques et économiques majeurs.

Les technologies citées plus haut, indispensable au déploiement du Space-Based Solar Power, sont aussi vecteur de souveraineté. C’est donc en investissant collectivement dans le Space-Based Solar Power qu’une souveraineté européenne deviendra possible, et inversement…

Powerspace, le réacteur nucléaire spatial français

Auteur: Sabrina Barré, 19 Juin 2023

Qu’est-ce que c’est ?

L’électricité générée par un microréacteur nucléaire spatial (Small Modular Reactor SMR) peut être utilisée pour deux types d’applications: l’alimentation et la propulsion. 

Cette puissance disponible dans l’espace pourrait permettre l’alimentation de systèmes orbitaux, de bases-vie, ou encore de data-centers dans l’espace.

Le microréacteur nucléaire spatial permet deux types de propulsion : nucléothermique (NTP) et électrique (NEP). La NTP (poussée forte, durée faible), permettrait de doter un satellite d’une très grande manœuvrabilité et réduirait les temps de trajet par 2 voir 3. La NEP (poussée faible, durée longue), elle est utile pour les sondes d’exploration.

Un sujet loin d’être du XXIè siècle…

  • Aux Etats-Unis : Dans le cadre du programme SNAP, les modèles à numéro pair sont des réacteurs nucléaires spatiaux. Le projet SNAP 10A fut lancé en 1965 à bord du satellite SNAPSHOT de l’US Air Force. Il devait démontrer la faisabilité d’un usage de réacteurs nucléaires dans l’espace. Le satellite est toujours en orbite terrestre. Depuis, les États-Unis n’ont pas lancé de réacteur nucléaire dans l’espace.
  • En URSS : L’Union soviétique a développé les réacteurs BE5 durant les années 1960, afin de fournir de l’électricité à leurs satellites de surveillance océanique RORSAT.À partir de 1974, tous les satellites RORSAT utilisent des réacteurs nucléaires. Au moins 31 BE5 et deux réacteurs TOPAZ fonctionnant à l’uranium235 hautement enrichis ont été lancés en orbite

Nouvelles tendances et redynamisation du sujet avec l’exploration spatiale

Au Royaume-Uni : 

L’entreprise anglaise Rolls Royce a dévoilé un concept de réacteur nucléaire spatial, présenté à l’IAC 2022 à Paris. L’entreprise a signé un contrat pour une étude avec l’Agence spatiale du Royaume-Uni. Elle souhaite capitaliser sur son expertise de SMR terrestres pour entrer sur le marché du spatial.

Aux EtatsUnis :

  • Memorandum on the National Strategy for Space Nuclear Power and Propulsion (Space Policy Directive-6)
  • participation du secrétaire à l’Énergie au National Space Council
  • Executive Order on Promoting Small Modular Reactors for National Defense and Space Exploration: En janvier 2021, l’administration américaine publie une décision présidentielle encourageant l’usage de petits réacteurs modulaires dans les domaines spatial et défense.

En Chine :

  • En 2017, la China Aerospace Science and Technology Corporation (CASC) a publié sa feuille de route technologique pour l’exploration spatiale, qui inclut des vaisseaux nucléaires à l’horizon 2040.
  • En 2022, d’après de nombreux médias, un prototype de réacteur à fission d’une puissance d’un mégawatt aurait passé un seuil de revue critique.

Recommandations

1) Envoi d’un signal politique fort permettant de faire émerger un écosystème power-newspace dont le marché sera garanti par la commande publique

2) Mise en place un groupe de travail nucléaire spatial dans le cadre de l’élaboration d’une stratégie interministérielle 2040 (Bercy, MESRI, Minarm, SGDSN)

3) Mise en place d’un GT technique “microréacteur électronucléaire spatial” entre CNES, CEA, ministère des Armées (CDE, DGA, EMA) et pilotage à présidence tournante

Le temps joue contre nous ! 

Pour rattraper le retard et entrer dans la course, la France doit élaborer une stratégie nucléaire spatiale d’ici 2026 et prendre le virage du “powerspace” avant d’être déclassée à l’échelle mondiale 

L’objectif clé

Faire de la France la batterie de l’Europe d’ici 2040

Une stratégie européenne pour les ressources spatiales

Thomas Delhon

Favoriser une stratégie européenne des Ressources Spatiales

L’exploitation des ressources spatiales, connue sous le nom d’ISRU (in-situ resources utilization), a une longue histoire qui remonte aux missions Apollo. Ces missions ont marqué les premières tentatives de ramener des ressources spatiales sur Terre, avec un total d’environ 382 kilogrammes rapportés sur Terre. Même si l’URSS et plus récemment la Chine ont également extrait et rapporté des échantillons, l’utilisation des ressources spatiales aura davantage d’applications directement dans l’espace, plutôt qu’en les ramenant sur Terre.

Les ressources spatiales disponibles sont diverses, et accessibles sur différents corps célestes. Sur la Lune, par exemple, on trouve des régions constamment plongées dans l’ombre au pôle sud où de l’eau permettant de produire de l’oxygène et de l’hydrogène peut être présente. Le régolithe lunaire, présent sur toute la surface de la Lune, contient des métaux tels que le fer et l’aluminium, ainsi que de l’oxygène exploitable. Ces ressources peuvent être utilisées pour soutenir la vie et faire du ravitaillement en carburant, ainsi que pour la fabrication d’habitats spatiaux. En plus de nécessiter moins d’énergie que les ressources lunaires, certains astéroïdes contiennent également des ressources intéressantes, notamment de l’eau et des métaux. Pouvant être utilisés pour les mêmes raisons que les ressources lunaires. De plus, des métaux rares (métaux platinoïdes notamment) essentiels à l’industrie pouvant être amenés à manquer dans les prochaines décennies, peuvent s’y trouver et y être exploités.

Des tendances récentes ont donné un nouvel élan à l’exploration et à l’exploitation des ressources spatiales. 

La concurrence entre les États-Unis et la Chine pour revenir sur la Lune a accéléré le développement de toute la chaîne de valeur des ressources lunaires car la Lune est considérée pour ces acteurs comme une étape cruciale avant d’atteindre des destinations plus lointaines, telles que Mars.

La possibilité d’extraire et d’utiliser les ressources lunaires faciliterait grandement ces futures missions en ravitaillant en ressources les véhicules spatiaux utilisés. 

Concernant les astéroïdes, des acteurs privés crédibles, tels qu’Origin Space en Chine, ou TransAstra et AstroForge aux Etats-Unis sont apparus ces dernières années et suscitent un intérêt croissant. 

De plus, l’oxygène extrait des astéroïdes nécessitant moins d’énergie que celui de la Lune pour des applications en orbite, il sera moins cher et ainsi davantage convoité pour des missions spatiales lointaines.

Cependant, plusieurs obstacles entravent actuellement l’exploitation des ressources spatiales

Le droit spatial international interdit l’appropriation des ressources spatiales, bien que certains pays aient adopté des lois nationales pour contourner ces contraintes, notamment les États-Unis, la Chine, le Luxembourg et les Émirats arabes unis. Pour les ressources lunaires, se poser et décoller de la Lune nécessitera un stock d’ergols dédié à cette tâche, ainsi que de la logistique développée. En ce qui concerne les astéroïdes, ces derniers ne sont pas encore suffisamment bien connus en termes de propriétés physiques et chimiques, et leur exploitation nécessitera des missions plus longues et des véhicules spatiaux dont les technologies sont encore à développer.

La France et l’Europe ont des enjeux importants dans le domaine des ressources spatiales. Avec le retour de l’humanité sur la Lune prévu d’ici la fin de la décennie et les perspectives d’établissement de bases lunaires, de voyages vers Mars et au-delà, une nouvelle ère de l’exploration spatiale s’ouvre. Jusqu’à présent, l’Europe a été discrète dans ses ambitions d’exploration spatiale habitée, contrairement aux États-Unis et la Chine qui consacrent d’importants budgets à ces initiatives. 

>> Cette exploration spatiale future sera infaisable sans l’utilisation de ressources spatiales, dont on estime les besoins à plusieurs centaines de tonnes par an d’ici 2040 : une simple mission habitée vers la Lune sans cargo nécessitera environ 25 tonnes d’ergols nécessaires à ravitailler. Dans cet objectif, l’Agence spatiale européenne (ESA) prévoit de produire 45 tonnes d’oxygène liquide sur la Lune à partir de 2032.

Si l’Europe et ses états membres ne s’impliquent pas dans ce marché émergent des ressources spatiales via une stratégie commune, elles risquent de perdre leur renommée actuelle et leur présence dans l’espace à long terme, se retrouvant reléguées au second plan derrière la NASA et l’Administration spatiale nationale chinoise (CNSA). 

Par conséquent, il est crucial de favoriser une stratégie européenne des ressources spatiales, de promouvoir la recherche et le développement dans ce domaine, et de mettre en place les lois et les partenariats nécessaires pour assurer la participation active de la France et de l’Europe dans le futur de l’exploitation spatiale.

NIMBUS, le lanceur lourd européen polyvalent

Thomas Foulon, Alix Guigné, Ana Pic, Maxence Poile, Geoffroy de Dinechin

Une crise sans précédent dans le secteur du spatial

La leçon à tirer de l’histoire récente est éloquente. En 2020, lorsque la pandémie de Covid-19 a affecté la chaîne d’approvisionnement mondiale, la dépendance à l’égard des services de lancement internationaux a causé des retards dans de nombreux programmes spatiaux européens, comme le lancement d’Ariane 6, entraînant des pertes financières importantes. Les tensions géopolitiques aggravent la situation, rendant l’Europe dépendante des lanceurs américains suite au retrait du Soyouz. L’indépendance de l’accès à l’espace est ainsi devenue cruciale pour l’Europe, perturbant le lead mondial de son approche, basée sur “l’espace pour une meilleure vie sur terre”. Il est impératif pour l’Europe de se garantir cet accès et renforcer sa position mondiale.Le développement du lanceur spatial polyvalent Nimbus pourrait être un pas décisif dans cette direction. Les atouts du Nimbus résident dans sa capacité à lancer une variété de charges utiles sur différentes orbites, offrant ainsi à l’Europe une flexibilité accrue, une meilleure résilience face aux crises futures et préservant sa souveraineté. Pour concurrencer des entreprises comme SpaceX, qui ont pour ambition la réduction des coûts de lancement grâce à la réutilisation des fusées, le Nimbus devra également innover en termes de technologies et de coûts.

Les principes clés – un accès indépendant à l’espace, la coopération internationale et un cadre réglementaire approprié – guideront son développement. Cependant, la réussite de ce projet nécessitera une volonté politique, une collaboration internationale étroite et un engagement en faveur de l’innovation et de la durabilité pour tous les acteurs. 

Répondre au besoin vital d’un lanceur qui répond aux besoins du marché grandissant du NewSpace 

L’un des aspects clés du NewSpace est la mutualisation des lancements, permettant ainsi de maximiser l’efficacité et de réduire les coûts. Un lanceur polyvalent capable de réaliser des missions de “rideshare” devient donc impératif. En mutualisant les lancements pour des orbites similaires ou proches, ce type de lanceur permettrait une utilisation optimale de l’espace disponible à bord et offrirait des opportunités de collaborations entre différentes entités spatiales et ainsi alimenter le marché. Cette approche favoriserait la création d’un Global LaunchPad (GLP), calendrier mondial de lancements, évitant ainsi les congestions et les délais inutiles. Ces délais sont un frein encore plus important au développement du marché des micro et nano satellites qui, n’ayant pour l’instant que peu de lanceurs dédiés, doivent attendre que des plus grosses missions proposent des orbites similaires aux leurs. De plus, nombre d’entre eux ne se retrouvent pas exactement sur l’orbite souhaitée ce qui nuit fortement au bon déroulé de leurs missions et à leurs performances. 

Un autre aspect clé est la capacité de transport de charge utile. Un lanceur polyvalent doit être doté d’une grande capacité de charge utile, atteignant jusqu’à 45 tonnes, répondrait aux exigences croissantes du marché spatial. Cette capacité accrue permettrait le déploiement de satellites plus grands, la mise en orbite de constellations et de méga-constellations, ainsi que la possibilité d’effectuer des missions complexes et ambitieuses, jamais réalisées à ce jour. Les opportunités offertes par un lanceur polyvalent de cette envergure seraient extrêmement attractives pour les acteurs du NewSpace du monde entier, qui cherchent à exploiter pleinement le potentiel de l’espace.

Enfin, la compétitivité des coûts est un aspect essentiel pour la réussite dans le domaine spatial mondial. Le développement d’un lanceur polyvalent capable de réduire significativement le prix au kilogramme serait un atout majeur pour le marché du NewSpace européen. Cette réduction des coûts permettrait de rendre les missions spatiales plus accessibles à un plus grand nombre d’acteurs, allant des startups aux grands groupes en passant par le public. En favorisant une économie plus efficiente, un tel lanceur encouragerait l’innovation et stimulerait la croissance de l’industrie spatiale.

Dans l’union réside la force : centralisation des ressources technologiques et innovantes 

L’Europe doit alors trouver un équilibre délicat entre union et efficacité d’innovation continue. Pour ce faire, nous suggérons le développement de clusters et consortiums rassemblant des entreprises de différentes tailles et de différents domaines pour partager leurs connaissances et favoriser la collaboration autour d’un même projet. L’Europe peut ainsi encourager à la fois la mutualisation des ressources et des connaissances mais également réduire les délais. Cela peut également réduire les risques pour chaque entreprise individuelle.

L’Europe doit aussi savoir profiter de l’expertise des entités privées : autant des traditionnels grands groupes qui l’accompagnent depuis ses débuts que des nouveaux arrivants sur le marché. De très nombreuses start-ups composent aujourd’hui le paysage spatial et constituent un vivier de talents et d’idées dont il serait dommage de se passer. Il peut être alors intéressant pour l’Europe de considérer le modèle compétitif américain ou une, parfois plusieurs réponses à des appels d’offres sont sélectionnées. Ce modèle favorise l’innovation et l’exploration d’un champ des possibles plus grand. Il peut cependant être lourd de conséquences pour les entreprises dont la proposition ne sera pas retenue. Il ne favorise pas non plus la mutualisation.

Il est crucial de ne pas dépendre d’un seul fournisseur pour les composants clés. En ayant une variété de fournisseurs  à travers l’Europe, on peut réduire le risque lié à l’échec d’un seul fournisseur. Un stockage stratégique de composants critiques peut aider à prévenir les interruptions de la chaîne d’approvisionnement en cas de perturbations inattendues. La mise en place de redondances dans la chaîne d’approvisionnement, telles que des usines de fabrication multiples pour les composants clés, peut aider à garantir la continuité des opérations. La numérisation et l’automatisation des processus de la chaîne d’approvisionnement peuvent accroître l’efficacité et la flexibilité, permettant une réponse rapide aux changements de la demande ou aux perturbations mais également le développement de nouvelles entreprises. Il est important d’effectuer des évaluations régulières des risques liés à la chaîne d’approvisionnement et de planifier des scénarios d’urgence pour faire face aux potentielles perturbations.

Ainsi Nimbus sera un modèle de lanceur spatial modulaire et personnalisable, grâce à cette innovation constante et la verticalisation des entreprises, inspirée du fordisme.Un modèle permettant une grande flexibilité sur le marché, que ce soit pour des missions habitées, le déploiement de constellations de satellites ou des missions vers d’autres planètes.  Cela permettrait à la fois de maintenir un lanceur opérationnel tout en continuant à innover et à améliorer ses différents composants, comme en encourageant le développement de composants réutilisables, ce qui pourrait à son tour réduire les coûts et l’impact environnemental des lancements.

Cela dit, un tel modèle présenterait également des défis, notamment en termes de compatibilité entre les différents composants et de garantie de la sécurité de chaque mission. 

Leviers réglementaires et politiques

Afin de pouvoir accélérer la mise en place de ce projet et assurer son succès durable, il est nécessaire de tabler sur le partage du travail de l’industrie entre les différents acteurs et États participants pour profiter de l’expertise spécifique de chaque pays et renforcer la collaboration internationale. Dans cette optique, une unification des normes s’avère cruciale. Pour garantir une interopérabilité optimale et une fiabilité sans faille entre tous les composants fabriqués dans différents pays, il est impératif d’adopter une série de normes industrielles communes. Cela couvre non seulement les spécifications techniques des produits, mais aussi les procédures de contrôle de qualité, les protocoles de sécurité et les exigences environnementales.

Ainsi, il faut mettre en place un catalogue de normes dans un processus de négociation approfondi, impliquant tous les acteurs clés de ce projet. Ce processus devra également être suffisamment souple pour accommoder les avancées technologiques et les changements de marché. Une fois ces normes unifiées en place, elles peuvent servir de fondement à une coopération industrielle véritablement intégrée, permettant une production efficiente et cohérente sur toute l’Europe. Cela facilitera également le partage des connaissances et des technologies entre les pays dans un cadre réglementé, contribuant à renforcer la position concurrentielle de l’Europe dans le secteur spatial mondial. Il est également crucial de veiller à ce que l’adoption de ces normes communes ne freine pas l’innovation, mais puisse la stimuler. Pour cela, il est important d’inclure des dispositions pour une révision régulière des normes et pour encourager la recherche et le développement.Cette standardisation commune pourra s’avérer attractive pour des clients étrangers à la recherche de qualité, de transparence et de performance, et ainsi représenter un réel avantage commercial pour l’Europe. En étendant son marché grâce à sa polyvalence et sa fiabilité, le lanceur Nimbus concrétisera la puissance normative européenne sur le marché international en imposant ses standards;

De plus, un accord intergouvernemental entre les États membres (exclusivement Europe) du projet Nimbus et l’Agence spatiale européenne (ESA) stipulant l’utilisation obligatoire du nouveau lanceur pour tous les lancements publics, y compris ceux liés à la science, la télécommunication, la navigation, et l’observation de la Terre. Afin d’attirer les projets de lanceurs privés une réglementation favorable peut être introduite au niveau de l’Union européenne, conditionnant l’obtention de financements publics à l’utilisation du nouveau lanceur pour les projets spatiaux privés. Nous pouvons également imaginer des incitations fiscales pourraient être offertes aux entreprises qui s’engagent à utiliser le lanceur européen pour leurs lancements. Enfin, une stratégie de diplomatie spatiale pourrait être mise en place pour négocier l’utilisation du lanceur européen dans les projets internationaux, en collaborant avec des partenaires hors de l’Europe.

C’est ainsi que nous pouvons bâtir l’avenir du spatial Européen : pour un lanceur spatial polyvalent européen, le Nimbus. L’Europe a la capacité de concurrencer les leaders mondiaux, et Nimbus pourrait bien être le catalyseur qui nous propulserait au sommet de l’industrie spatiale mondiale.

La Lettre A.STRES : l’Europe et les ressources spatiales

“Nous aussi nous pouvons le faire”

Déclaration de Jacques Blamont, premier directeur scientifique et technique du CNES, le 25 mai 1996.

Le dernier Forum Innovation Défense a mis le spatial à l’honneur tant dans les projets exposés que dans les conférences proposées. Lors de la table ronde “Vol habité/vol autonome européen” un des panélistes a évoqué la nécessité de fédérer les européens au travers du refus d’exploiter les ressources spatiales et a questionné ce qu’apporterait réellement l’autonomie en matière d’exploration spatiale européenne.

Le GT Exploration spatiale d’ASTRES s’est donc saisi de la thématique, afin d’apporter la voix de la jeunesse au débat. 

Alors que la nouvelle course à la Lune est en plein essor et que les américains et chinois mettent en œuvre leurs stratégies respectives pour y parvenir, certains européens ne semblent pas avoir esquissé de stratégie alignée avec la dynamique qu’impulse la nouvelle exploration spatiale. En effet, à l’exception du Luxembourg, il se pourrait que les acteurs européens manquent encore une fois un tournant industriel stratégique majeur. 

En effet, le retour quasi permanent de l’humanité sur la Lune et le voyage habité vers Mars ne se fera sans de lourdes infrastructures. Même si les premières missions Artemis prévoient d’amener depuis la Terre tout équipement nécessaire sur la Lune, le début de la décennie 2030 verra apparaître l’utilisation des ressources déjà présentes sur notre satellite pour rendre les missions plus économiques et durables. Qu’il s’agisse d’impression 3D du régolithe lunaire, de la production d’ergols, ou encore de stockage d’énergie solaire, l’ensemble des ressources présentes sur la Lune permettront d’ici quelques années de développer de nombreuses infrastructures sur place, sans avoir à les envoyer depuis la Terre. 

Le rapport d’information sur l’exploitation des ressources spatiales publié par la Délégation à la prospective du Sénat décrit parfaitement les enjeux et retombées possibles pour l’industrie spatiale européenne. 

  • Tout d’abord, l’exploitation des ressources spatiales serait un effet de levier majeur pour les industries françaises et européennes, tant dans l’encouragement à l’innovation que dans la création de nouveaux marchés. Dans le cas échéant, il ne faudra pas s’étonner de la fuite de certaines entreprises européennes stratégiques vers des états plus conciliants en la matière…
  • De plus, cela pourra donner lieu à des retombées économiques considérables du fait des synergies terrestres possibles (rovers autonomes) et des applications mixtes (Maana Electric et ses panneaux solaires à base de régolithe ou de sable du désert).
  • Souvent oublié, mais l’impact environnemental serait important car combiné à d’autres services (réparation, MCO….), les ressources spatiales permettraient une diminution drastique des lancements aujourd’hui nécessaires depuis la Terre1 en ravitaillant en ergols produits in-situ les atterrisseurs lunaires ou en produisant des infrastructures sur la Lune grâce aux ressources qui s’y trouvent.”

L’Europe en tant que puissance normative pourrait réglementer l’exploitation des ressources spatiales sous l’angle de la durabilité

Comme le rappelle le rapport d’information du Sénat, il est donc urgent de commencer à réfléchir aux modalités d’attribution et d’exploitation de ces ressources. Par exemple en délimitant les “règles d’attribution (licences, quotas, etc.), pouvoirs de contrôle, régime fiscal, assurance, responsabilité, transparence et publicité des données, sécurité, et protection de l’environnement”.

C’est pourquoi, au sein du GT Exploration Spatiale d’ASTRES, nous sommes convaincus qu’une Europe pouvant amener ses propres astronautes sur la Lune en totale souveraineté ne peut se faire sans une stratégie claire et ambitieuse sur l’utilisation des ressources spatiales. C’est dans ce but que nous appelons les acteurs institutionnels et privés français à avancer dans ce sens car dans 50 ans, l’utilisation du régolithe pour les activités lunaires nous paraîtra comme une évidence, au même titre qu’aujourd’hui faire un trajet en voiture équipé de bidons d’essence pour faire le plein plutôt que passer par une station essence nous semble absurde.

A l’aube d’une nouvelle ère d’exploration spatiale, comment la jeunesse française peut-elle souscrire à des renoncements qui n’ont pas été ceux de ses aînés au lendemain de la Seconde guerre mondiale ?

Thomas Delhon et Sabrina Barré pour le GT Exploration Spatiale, 27 novembre 2023. 

  1. A titre de comparaison, la mission Artemis 3 nécessitera l’envoi de près de 20 Starships. (https://spacenews.com/starship-lunar-lander-missions-to-require-nearly-20-launches-nasa-says/) ↩︎