Encourager l’investissement spatial privé

Pierre Letellier, Antoine Chesne, Juin 2023

Elon Musk, Jeff Bezos. Ces deux noms résonnent aujourd’hui comme les symboles du New Space américain. Pourtant, les deux plus grandes fortunes d’Amériques ne sont pas nées dans l’industrie spatiale. Ayant fait originellement fait fortune dans les services au e-commerce (PayPal pour Musk, Amazon pour Bezos), c’est à la fois par vision et opportunité qu’ils se sont emparés du secteur spatial et l’ont dynamisé. Une telle success story serait-elle possible en France ? Nous ne manquons pas de milliardaires rivalisant, mais leur intérêt pour l’innovation et la technologie demeure faible. Alors, comment inciter les investisseurs privés, particuliers et fonds, à faire affluer leurs capitaux dans le spatial ?

Créer des mesures incitatives fiscales

L’outil fiscal doit être utilisé pour diriger les capitaux privés vers les technologies et les innovations présentant un fort intérêt stratégique et de souveraineté. L’Espace, par ses différentes composantes (imagerie, télécommunications, IoT, exploration, transport & logistique, fabrication en orbite…) pourrait en bénéficier.

La recommandation

Les autorités fiscales sont à mobiliser pour abaisser le taux effectif d’imposition. Nous suggérons : 

  • De bâtir une fiscalité dégressive du capital investi selon la durée du projet industriel pour s’adapter aux conditions de développement du spatial.
  • de faciliter la mise en place de fonds de placements permettant de répartir le risque des capitaux investis dans un “pool” d’acteurs émergents.

Le secteur spatial pourrait prendre pour modèle la finance verte et ses méthodes pour flécher les investissements vers les technologies et les industries de la transition énergétique. En particulier on soulignera le rôle des placements pour particulier (comme le Livret de Développement Durable, 142.2 Md€ déposés au 31 mai 2023) ou les obligations vertes dont bénéficient les entreprises. Il serait possible de les transposer en faveur d’autres secteurs stratégiques comme le spatial.

Limites / points d’attention

Le problème de cette stratégie, selon l’OCDE (2015), la réduction de la charge fiscale a peu d’effet sur l’investissement car l’incitation fiscale ne remédie pas les défaillances directement, ne demande pas de sortie de fonds pour des subventions etc. Quand bien même dans une industrie spatiale internationale le pays au taux le plus faible pourrait être avantagé, cela risque de créer un phénomène de surenchère dont tout le pays pâtirait. Il faut alors poser la question de l’évaluation des coûts et avantages de cette politique d’incitation ; ainsi qu’une mise à l’échelle européenne de cette approche pour éviter la compétition. L’UE investit d’ores et déjà dans le succès des startups par le biais de la commande publique (10-30% de d’IRIS² doit être à destination de contractants startups ou de moyennes entreprises du spatial). L’approche par la taxation est donc à moduler avec les autres approches présentées dans cette note de réflexion.

Chiffre clé : “10 percentage point increase in the corporate income tax rate lowering FDI by 0.45 percentage point of GDP” 

Assurer la visibilité par la commande publique

La “vallée de la mort” désigne dans le capital-risque la période de danger pour les startups entre les levées de fonds et la rentabilité. Dans le secteur spatial, cette vallée est particulièrement large, ce qui freine les investisseurs craignant le manque d’assurance sur les revenus à long-terme.

La recommandation

  • Nous proposons de repenser les mécanismes de commande publique pour assurer davantage de visibilité sur les revenus pour les acteurs du New Space. Plutôt que de multiplier les contrats public-privés, avec des budgets alloués annuellement, nous proposons une programmation plus longue et des contrats cadres fléchant les revenus à horizon 5 à 10 ans. 

Une idée serait également de  faire signer une charte d’engagement sur la durée des contrats de commande publique. En échange de contrats sur le plus long-terme, les institutions (ex : CNES) peuvent demander la possibilité d’un droit de regard plus extensif sur la direction du projet, et notamment invoquer un droit de retrait à mi-parcours en cas d’échec industriel. La mesure ne doit pas remettre en cause les principes de concurrence et les avantages qui en sont tirés par l’Etat. De façon cohérente, pour soutenir le tissu du news pace et ses investisseurs, ces grandes commandes sur le long terme doivent leur être en partie adressées. A l’image de la constellation IRIS² : 30% des contrats doivent être attribués à des PME, afin d’éviter la monopolisation des ressources par les géants satellitaires (Airbus, TAS, OHB), des lanceurs (ArianeGroup) et des télécom (EutelSat, SES, Hispasat…).

Limites / points d’attention

Ce type de contrat de long-terme existe déjà au sein de l’ESA, mais dans le New Space européen il a été mis en oeuvre dans des pays dont les géants du secteurs n’accaparent pas l’essentiel des commandes publiques. On citera en Suisse Clearspace, championne des retraits de débris orbitaux, qui bénéficient d’un contrat en trois étapes avec l’ESA. Clearspace bénéficie en grande partie du retour géographique des montants investis par la Suisse au sein de l’ESA. L’essentiel des montants investis par la France dans l’ESA allant à nos filières lanceurs et satellites lourds, il faut veiller à un équilibre entre grands groupes et PME pour assurer que les innovations de rupture puissent émerger et s’industrialiser grâce aux contrats cadres et la commande publique.

Impliquer les clients finaux du spatial

Notre goût du risque n’est peut-être pas le même en Europe qu’outre-Atlantique ; un effort culturel est à construire dans le domaine financier pour que les investisseurs non-initiés alimentent le secteur. 

In the U.S., the risk appetite is far greater. Investors are often open to entrepreneurs whose early venture has failed because they are seen as better for the first-hand experience. It’s okay to fail and try again, and so it’s okay to lose money at times.” “”Aux États-Unis, le goût du risque est beaucoup plus grand. Les investisseurs sont souvent ouverts aux entrepreneurs dont la première entreprise a échoué, parce qu’ils sont considérés comme plus compétents du fait de leur expérience directe. Il n’y a pas de mal à échouer et à réessayer, et il n’y a donc pas de mal à perdre de l’argent de temps en temps.”

La recommandation

Développer des programmes d’éducation des investisseurs et des mécanismes de soutien pour éduquer les entreprises de l’industrie non spatiale sur le secteur, ses rendements potentiels et les stratégies d’atténuation des risques.

Cela inclurait des workshops, des programmes de mentorat et des ressources en ligne pour accroître la confiance et les connaissances des investisseurs. 

D’accroître la relation entre clients finaux des applications spatiales et le secteur amont spatial en encourageant les partenariats stratégiques entre New Space et partenaires à la fois investisseurs et clients.

Pour cela, on ne peut qu’encourager les acteurs du New Space et leurs leveurs de fonds à adapter leur stratégie de recherche de financements aux clients finaux non-spatiaux. Il faut aller chercher les investisseurs là où se situe la création de valeur du spatial : parmi les clients des applications, et les associer plus en amont aux développement de l’infrastructure capable de produire les données qu’eux même utilisent.

Limites / points d’attention 

Ces mesures sont utiles pour essaimer l’information et créer des passerelles, mais ne suffisent pas compte-tenu des différences de cultures (compréhension de la technologie, rapport au risque…) entre le New Space et les clients finaux non-spatiaux. L’émergence de licornes et d’applications à succès seraient les meilleurs moyens pour convaincre les clients finaux d’investir dans le spatial.


Sources

Prévenir et réguler notre empreinte cosmique 

L’Homme a fait ses premiers pas sur la Lune il y a déjà plus de 50 ans. Aujourd’hui, les challenges technologiques sont nombreux et les nouveaux projets et expériences scientifiques dans le deep space éclosent, tandis que l’accès à l’espace est de plus en plus simple, que ce soit dans le public ou dans le privé. Avec plus de 5000 satellites actifs lancés dans l’espace jusqu’à fin 2021 et plus de 10 tonnes de matériaux terrestres sur la surface de Mars, une question se pose: Que laissons-nous comme traces de notre passage dans le système solaire et au-delà et comment ne pas créer de malentendus dans les siècles à venir ? 

Notre empreinte cosmique, comment la réguler ?

Amener l’Homme sur d’autres planètes apporte des problématiques de contamination mais aussi de management de déchets ou de systèmes ayant terminé leur mission. Notre “empreinte cosmique” doit être régulée afin d’anticiper de potentiels problèmes futurs.

  • Un registre procédural mis à jour régulièrement pourrait être implémenté afin de garder une trace des comportements humains atteignant le deep space et une définition stricte des niveaux de stérilisation pourrait être prise en compte pour chaque objet quittant notre planète. 
  • Par ailleurs, aucune loi concernant la colonisation contrôlée d’autres astres n’a été promulguée pour le moment, qu’elle soit humaine ou robotique. Il serait pertinent de travailler sur une proposition de loi française et européenne pour encadrer la colonisation des astres par des institutions publiques ou privées sur des aspects de préservation de l’environnement, d’exploitation et de juridiction sur place.

L’exploration humaine d’autres planètes peut paraître lointaine mais une réflexion sur les aspects mentionnés ci-dessus serait en mesure d’anticiper les potentiels chassé-croisés et d’impliquer les instances gouvernementales compétentes.

Sources

  • Dan, R. “Quand Le Capitalisme Se Rêve Un Destin Cosmique.” Lvsl.fr – Tout Reconstruire, Tout Réinventer, 8 Jan. 2022, lvsl.fr/quand-le-capitalisme-se-re%CC%82ve-un-destincosmique/#:~:text=En%202020%2C%201%20283%20satellites
  • “Liste Des Objets Artificiels Sur Mars.” Wikipedia, 29 Apr. 2023, fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_objets_artificiels_sur_Mars#:~:text=2%20Liste
  • “Large scales ?” SpaceEthics.org, www.spaceethics.org/

Obtenir un accès autonome aux vols habités 

Lisa Wong, Juin 2023

Assurer un accès autonome aux vols habités

Les feuilles de route de l’exploration spatiale tracent des chemins très similaires dans la plupart des grandes agences spatiales nationales. Ils prennent leur envol depuis l’orbite terrestre basse (LEO) jusqu’à Mars, en passant par notre astre le plus proche : la Lune. La maîtrise des technologies en orbite basse est capitale car elle permet à une puissance spatiale de pouvoir prétendre à organiser les prochaines étapes. 

L’accès de l’Homme à l’espace serait favorable à l’économie nationale. Dans un premier temps, cela créerait des emplois à forte valeur ajoutée. De plus, une économie spatiale mondiale autour de l’exploration humaine est en train de se mettre en place avec notamment des nouveaux services à fort intérêts financiers et logistiques. Par ailleurs, il s’agit dans un même temps de créer de l’engouement chez les jeunes générations et de perpétuer cette économie sur le long-terme.

Alors quels sont les ingrédients essentiels pour un vol habité autonome en LEO ? Un lanceur, une capsule habitée, certainement une station spatiale pour étudier les comportements humains sur du long-terme et la capacité de ravitaillement. Malheureusement, la recette est incomplète pour l’Europe, malgré quelques éléments français.

Le rapport du High Level Advisory Group, comprenant les réflexions stratégiques des acteurs industriels, des gouvernements, des universités et de la société civile, souligne ce retard et invite vivement à concentrer les ressources sur la création d’une autonomie européenne durant la prochaine décennie. 

Concrètement, quelles sont les problématiques actuelles concernant ce sujet ?

Concrètement, quelles sont les problématiques actuelles concernant ce sujet ? Contrairement aux deux plus grandes puissances spatiales, la France a peu d’héritage et de projet concret en cours sur les systèmes de vols habités comme les capsules, permettant l’accès habité à l’espace, ou les stations spatiales contribuant aux études scientifiques nécessaires au progrès technologique du vol spatial habité. L’Europe, via son programme Terrae Novae, commence doucement à se mettre en route pour participer aux projets internationaux, mais met à nouveau de côté l’aspect d’autonomie. 

En manque de budget et de stratégie disruptive, les projets ambitieux dans le cadre de cet accès doivent être supportés technologiquement, juridiquement et financièrement par les instances publiques avec un poids politique fort. Pourtant, la France et l’Europe ont des acquis non négligeables tels que l’ATV, véhicule de type cargo ou encore les contributions fortes dans les programmes de l’ISS avec Colombus, et d’Artemis avec le module de service d’Orion.

Recommandations

Allouer un budget plus conséquent à l’exploration spatiale humaine afin de créer un engouement pour développer ces technologies, définir une zone d’action française dans la roadmap européenne et de supporter les projets déjà en cours tels que le véhicule Susie d’ArianeGroup, le airbus Loop ou encore la capsule Nyx de The Exploration Company. Pour comparaison, les Etats-Unis allouent 50% du budget spatial civil dans les vols habités contre 10 à 15% pour l’Europe. 

Une stratégie de communication sur les besoins urgents à développer, à destination des industriels et des start-up, doit être intégrée à la stratégie française sur l’exploration spatiale. En mai 2023, l’ESA a lancé une invitation à proposer des services de transport type cargo, destinée aux entreprises spatiales européennes. La France doit pousser son industrie spatiale à s’investir dans ces projets.

Sources

Créer des laboratoires pour les ressources spatiales

Thomas Delhon, Juin 2023

L’exploitation des ressources spatiales 

Notre ère marque une transition majeure dans l’exploration spatiale. L’émergence du Newspace, caractérisée par une multitude d’acteurs privés innovants, a ouvert de nouvelles perspectives pour l’exploitation des ressources spatiales. Ces ressources comprennent de l’eau, des métaux, de l’oxygène et d’autres matières premières présentes sur la Lune, les astéroïdes et autres corps célestes. Les avantages potentiels de l’exploitation de ces ressources sont nombreux, allant du ravitaillement en orbite pour les missions spatiales à l’alimentation des industries terrestres en éléments rares.

Cependant, pour que ces possibilités profitent pleinement à la France, il est impératif de renforcer les capacités de recherche, de développement et d’innovation dans ce domaine. C’est dans ce cadre que nous recommandons l’établissement d’un centre national d’études sur les ressources spatiales, qui pourrait permettre à la France d’être un leader du domaine.

Objectifs et fonctionnement 

Ce centre national d’études sur les ressources spatiales pourrait être un organisme multidisciplinaire rassemblant des experts de divers domaines tels que la géologie, la physique, la chimie, l’astrophysique, et l’ingénierie spatiale. Ses principaux objectifs seraient les suivants :

  • Recherche et développement : Le laboratoire mènerait des études approfondies sur les caractéristiques des ressources spatiales, leur abondance, leur distribution géographique et leurs applications potentielles. Les chercheurs développeraient de nouvelles technologies et méthodes pour l’exploration, l’extraction et l’utilisation efficaces de ces ressources.
  •  Innovation technologique : Le laboratoire favoriserait la collaboration entre les acteurs industriels, les universités et les centres de recherche afin de stimuler l’innovation et de développer de nouvelles technologies adaptées à l’exploitation des ressources spatiales. Des partenariats public-privé seraient encouragés pour accélérer la mise sur le marché de ces innovations.
  • Formation et sensibilisation : Le laboratoire jouerait un rôle central dans la formation des futurs experts du secteur des ressources spatiales. Des programmes éducatifs seraient développés en collaboration avec les universités et les établissements d’enseignement supérieur afin de former une nouvelle génération de scientifiques et d’ingénieurs spécialisés dans ce domaine émergent.
  • Coordination et soutien : Le laboratoire servirait de plateforme centrale pour la coordination des activités liées aux ressources spatiales au sein de l’écosystème Newspace français. Il faciliterait les échanges de connaissances, la collaboration entre les différentes parties prenantes et le soutien aux startups et aux entreprises dans la mise en œuvre de leurs projets.

La création d’un centre national d’études sur les ressources spatiales renforcerait considérablement la position de la France en tant qu’un des leaders mondiaux dans le domaine de l’exploitation des ressources spatiales. En investissant dans la recherche et le développement de technologies innovantes, la France serait en mesure de capitaliser sur les opportunités économiques et scientifiques offertes par l’exploitation des ressources extraterrestres. En travaillant de concert (startups, groupes industriels, partenaires publics…), nous pourrions ouvrir de nouvelles frontières et transformer l’industrie spatiale française en un moteur d’innovation et de croissance durable.

Soutien européen pour maîtriser le refueling

Thomas Delhon, Juin 2023

L’avenir de l’exploration spatiale Européen : le refueling

L’avenir de l’exploration spatiale dans notre système solaire dépend de notre capacité à maîtriser le ravitaillement (plus connu sous l’anglicisme “refueling”) d’ergols en orbite, une technologie qui pourrait transformer l’écosystème spatial dans son ensemble. C’est pourquoi nous recommandons que l’Europe accélère son soutien à ces technologies pour rester compétitive sur la scène mondiale.

Pourquoi le ravitaillement en orbite est-il si important ? 

Il allonge la durée de vie d’un satellite, ce qui permet d’offrir ses services plus longtemps. Dans leur vie, les avions sont ravitaillés en moyenne 40 000 fois, les voitures 750 fois, tandis que les satellites ne sont jamais ravitaillés jusqu’à présent : la valeur ajoutée du ravitaillement en orbite est donc considérable sur le plan économique, en plus de contribuer significativement à un espace davantage durable qu’aujourd’hui. En effet, selon certaines estimations, plus de 1000 tonnes de fluides pourraient être ravitaillées chaque année d’ici 2040.

Le ravitaillement en orbite peut prendre plusieurs formes. Le ravitaillement de fluides classiques implique le remplissage des réservoirs de véhicules spatiaux avec des gaz qui n’ont pas de grandes contraintes thermiques. Par exemple, de nombreux satellites utilisent de l’hydrazine pour effectuer des manœuvres orbitales. Cependant, la propulsion électrique remplace progressivement la propulsion à hydrazine, et le xénon devrait être la molécule la plus utilisée pour le ravitaillement en orbite terrestre.

Le ravitaillement cryogénique, en revanche, concerne le ravitaillement en oxygène, hydrogène, ou encore méthane liquide, qui nécessitent tous des températures très basses. Ces fluides sont largement utilisés dans les lanceurs, dont le ravitaillement sera nécessaire pour atterrir et décoller de la Lune, et peut-être même de Mars et au-delà à l’avenir.

Les défis du ravitallement en orbite

Cependant, le ravitaillement en orbite présente plusieurs défis. 

  • Les véhicules spatiaux doivent s’aligner de manière précise et stable pour permettre le transfert efficace des gaz. 
  • Le transfert de carburant présente des risques pour la sécurité des astronautes et des vaisseaux spatiaux, et les technologies doivent être mises au point pour minimiser ces risques. 
  • De plus, le développement de ces technologies est souvent trop coûteux pour être porté par un unique acteur, et les connaissances sont encore trop rares sur le sujet.

La NASA a pris conscience de l’importance du ravitaillement en orbite et a récemment attribué plus de 370 millions de dollars à des entreprises pour développer des technologies relatives à la gestion des fluides cryogéniques. Cela témoigne d’un changement de paradigme dans l’exploration spatiale, car le ravitaillement en orbite permettrait une plus grande réutilisabilité des fusées et l’utilisation de “remorqueurs” entre la Terre et la Lune.

Il est donc impératif que l’Europe suive le mouvement pour ne pas se laisser distancer, en soutenant le développement de ces technologies, non seulement pour répondre aux besoins d’exploration spatiale, mais aussi pour rester compétitif sur la scène spatiale mondiale. Soutenir le ravitaillement en orbite pourrait accroître la compétitivité européenne et permettre de jouer un rôle plus important dans l’exploration spatiale.

Il est temps pour l’Europe de faire un pas en avant et de soutenir pleinement le développement du ravitaillement en orbite. C’est une étape cruciale vers une nouvelle ère d’exploration spatiale, et l’Europe ne doit pas rester à la traîne et se doit de se donner les moyens pour maîtriser technologie d’avenir.

Multiplier les Partenariats Public-Privé pour la cybersécurité spatiale

Anaïs Shay-Lynn VYDELINGUM, Juin 2023

Qu’est-ce que la cybersécurité spatiale ? 

Les systèmes spatiaux sont composés d’infrastructures qui existent dans l’espace suborbital ou extra-atmosphérique, des systèmes de contrôle au sol, y compris les installations de lancement. En Europe, la cybersécurité des systèmes spatiaux est définie dans les politiques et actes juridiques de l’Union européenne (cf. Tableau ci-dessous). Il n’y a pas de cadre législatif dédié à la cybersécurité des systèmes spatiaux commerciaux ou traitant des obligations des personnes morales concernant la cybersécurité spatiale. Après l’affaire KA-SAT en 2022, la reconnaissance par la directive NIS2 du caractère critique des infrastructures spatiales marque un tournant pour la cybersécurité spatiale. 

Législation européenne en matière de cybersécurité spatiale, par Anaïs Vydelingum

Un besoin accru en protection des systèmes spatiaux

Le domaine spatial est en pleine croissance eu égard au phénomène New Space sur lequel les institutions, notamment européennes, s’appuient pour élaborer les politiques spatiales. Le domaine cyber étant un terrain de conflictualité de plus en plus prééminent, il concerne également l’activité spatiale qui se fonde sur des infrastructures sécurisées et stratégiques, mais également sur des outils numériques. En France, voire en Europe, le premier constat est qu’il y a une lacune dans les solutions proposées en matière de cybersécurité spatiale.

Les besoins et la dépendance à l’égard des données spatiales et des services et capacités satellitaires augmentent de manière exponentielle, ce qui attire l’attention des adversaires. Par exemple, dans le domaine de l’agrobusiness les satellites climatiques et météorologiques sont indispensables et constituent donc un point de vulnérabilité. Chaque étape du cycle de vie d’un satellite, de la conception et du développement à la fin de vie ou au déclassement, implique des services de technologie de l’information (TI), ce qui fait de la cybersécurité un élément crucial de l’écosystème spatial. Les complexités et les vulnérabilités à chaque étape du cycle de vie d’un satellite ou d’un engin spatial doivent être prises en compte pour maintenir la sécurité.

Lors du CYSAT 2023, le général ukrainien Oleksandr Potii est intervenu sur la sécurité du segment sol en Ukraine. Il a fait état du manque de moyens de l’armée ukrainienne pour protéger les infrastructures spatiales, face aux manœuvres russes qui visent à déstabiliser les infrastructures Starlink. Le CYSAT a été une occasion pour le général de s’adresser aux acteurs privés présents pour faire un appel d’offres, afin de pallier les manques de l’armée (cybersécurité pour les infrastructures spatiales, les terminaux utilisateurs, sécurité au travers de la cryptographie post-quantique…).

Du point de vue sécuritaire, la prise de conscience des risques et menaces cyber est manifeste au regard des activités spatiales commerciales et gouvernementales, à l’échelle européenne mais également internationale. C’est la raison pour laquelle la résilience fait partie des objectifs prioritaires dans l’innovation.

Le marché de la cybersécurité spatiale

Le secteur s’avère dynamique sous l’effet du phénomène New Space et se caractérise par l’apparition de TPE et PME spécialisées dans la cybersécurité aérospatiale. Sur le plan des contrats, les institutions sont particulièrement intéressées par les start-ups et souhaitent profiter des technologies disruptives qu’elles proposent dans le cadre de partenariats public-privé (PPP). Toutefois, les industriels tels que Thales et Airbus continuent également de travailler à des solutions disruptives. OVH Cloud au travers de son programme “Startup Program” offre aux start-ups des crédits cloud gratuits et un support technique dans le but d’optimiser l’utilisation de leur cloud sécurisé et plus largement de soutenir le développement des start-ups. Enfin, les Etats-Unis promeuvent le partage d’informations pour faire face aux risques et menaces cyber dans le domaine spatial, au travers de SpaceISAC (Space Information Sharing and Analysis Center). Cette volonté est partagée par la Commission européenne qui va mettre en place un EU Space ISAC en 2023. 

L’arrivée de nouveaux entrants et la hausse des opportunités dans le domaine contribuent à faire de la cybersécurité spatiale un secteur stratégique très compétitif sur lequel il faut savoir se distinguer en proposant des solutions plus innovantes ou plus abouties. Toutefois, le marché reste fragmenté, ce qui peut constituer un avantage pour les acteurs les plus expérimentés. 

Défis

Le temps constitue un défi, puisque plusieurs puissances spatiales se sont déjà emparées du sujet et disposent de moyens conséquents. Eviter le déclassement stratégique est impératif et la sécurisation des capacités spatiales apparaît évidente au regard des ambitions spatiales françaises, des orientations politiques européennes et de la dépendance des activités civiles et militaires aux systèmes spatiaux. 

Recommandations

(1) Dans un contexte où l’industrie spatiale évolue vers un environnement hostile dans lequel les attaques cyber sont de plus en plus nombreuses, il faut créer une synergie entre les acteurs publics et privés pour protéger et défendre les systèmes spatiaux, au travers notamment de PPP. Pour le privé, faire affaire avec les institutions permettrait de rendre son activité stratégique, de garantir une activité le temps du contrat et d’entretenir un savoir-faire. Pour le public, un partenaire privé permet d’élargir le champ d’action, déléguer et ne pas se limiter au budget de l’administration.

(2) Investir dans la cybersécurité spatiale, c’est investir dans la sécurisation d’un secteur d’avenir. Or, ce secteur toujours en voie d’expansion nécessite plus d’investissements au regard de l’augmentation des besoins et des enjeux stratégiques liés à la sécurisation des données. L’espace étant dual, il serait opportun d’intégrer des équipes compétentes en cybersécurité spatiale à plusieurs domaines (militaire, civil, privé…). De plus, une rationalisation des moyens permettrait de créer une expertise française, au travers notamment de l’inclusion de la cybersécurité spatiale dans les prérogatives de l’ANSSI, ou de la création d’un EPIC dédié en incluant le CNES, ou encore de la création d’une plateforme de partage d’information.

(3) Aboutir à une stratégie nationale de cybersécurité spatiale d’ici 2025 à l’issue d’un groupe de travail produisant des écrits synthétiques en 1 an maximum. 


Sources

  • Falco, Gregory. (2018). Cybersecurity Principles for Space Systems. Journal of Aerospace Information Systems. 16. 1-10. 10.2514/1.I010693.
  • OIRIER, Clémence. The War in Ukraine from a Space Cybersecurity Perspective. ESPI Short Report. [S. l.] : European Space Policy Institute (ESPI), [S. d.].
  • Untersinger, Martin . “Guerre En Ukraine : La Russie Accusée d’Être Derrière La Cyberattaque Ayant Visé Le Réseau Du Satellite KA-SAT.” Le Monde.fr, 10 May 2022, www.lemonde.fr/pixels/article/2022/05/10/guerre-en-ukraine-la-russie-accusee-d-etre-derriere-la-cyberattaque-ayant-vise-le-reseau-du-satellite-ka-sat_6125513_4408996.html. 
  •  “Startup Program.” Startup.ovhcloud.com, startup.ovhcloud.com/en/ 
  • “EU Space Strategy for Security and Defence.” Defence-Industry-Space.ec.europa.eu, defence-industry-space.ec.europa.eu/eu-space-strategy-security-and-defence_en.