Entretien avec Lisa Wong – Retour sur la soirée “Les jeunes et le spatial” à la Cité de l’Espace

Le 19 mars dernier, la Cité de l’Espace accueillait une soirée dédiée à la vision des jeunes sur l’évolution du spatial. Lisa Wong, responsable du GT Exploration Spatiale et ancienne Secrétaire de l’association ASTRES, y représentait notre collectif. Elle revient pour nous sur les échanges, les enjeux soulevés, et les perspectives à venir.

1. Lisa, quel regard portes-tu sur l’événement du 19 mars, maintenant que quelques semaines ont passé ?

La table ronde organisée par la Commission Jeune de l’Association des Amis de la Cité de l’Espace a été une très belle expérience. J’ai tout d’abord été ravie de rencontrer Catherine Le Cochennec, qui a organisé la table ronde et qui manifeste un véritable intérêt pour l’initiative portée par ASTRES. L’événement portait sur la place des jeunes dans le secteur spatial, un thème qui fait clairement écho à notre démarche au sein de l’association.

Ce moment d’échange m’a également permis de découvrir d’autres parcours : des personnes engagées dans le spatial, mais de manière très différente de la mienne ou complémentaire. C’était enrichissant de voir cette diversité de passions, de projets, d’ambitions. Cela reflète bien l’évolution actuelle du secteur spatial, qui devient de plus en plus ouvert et multiple.

2. Quels types de discours ou de préoccupations sont ressortis de la part des jeunes présents ?

Nous étions neuf jeunes à participer à cette table ronde, tous engagés dans le spatial, que ce soit à travers des associations ou par la création d’entreprises. Ce qui a marqué, c’est que l’engagement dans le secteur spatial naît souvent d’une véritable passion, pas forcément via un parcours académique classique, ni uniquement en tant qu’ingénieur ou scientifique. C’est un point sur lequel tout le monde semblait s’accorder.

Le spatial offre aussi des expériences uniques, qui donnent envie de s’impliquer dès les premières étapes, parfois même avant d’entrer dans le monde professionnel. C’est un domaine technique, certes, mais qui s’ancre aussi dans des enjeux globaux qui concernent l’ensemble de l’humanité. Un autre aspect important qui a émergé, c’est le rôle de la proximité géographique avec les acteurs du spatial : beaucoup étaient basés à Toulouse, qu’il s’agisse d’associations ou d’entreprises. Une start-up, par exemple, avait un pied à Toulouse et un autre aux États-Unis, pour des raisons stratégiques liées à l’accès aux partenaires et aux contrats.

En termes de préoccupations, deux grands thèmes ont dominé : la militarisation de l’espace, fortement réactivée par le contexte international actuel, et les enjeux éthiques. On a beaucoup parlé d’écologie, aussi bien sur Terre qu’en orbite. Une start-up comme Heiwa, par exemple, travaille sur la gestion des ressources en eau et la surveillance des menaces hydriques. Enfin, la question de la pollution spatiale a également été très présente dans les échanges, notamment avec la montée en puissance d’acteurs privés comme Starlink et d’autres opérateurs américains.

3. As-tu perçu un véritable dialogue entre les générations, étudiants, startups, industriels, acteurs publics ? Ou restait-on dans des logiques parallèles ?

Lors de cette soirée, la majorité des intervenants venaient du monde étudiant ou de jeunes start-ups. Mais ce qui m’a frappée, c’est à quel point leurs expériences étaient complémentaires. Cela se voyait déjà dans la manière dont la table ronde avait été construite : trois séquences distinctes avaient été proposées.

La première portait sur la sensibilisation des jeunes au spatial, principalement via l’éducation et les premières formes d’engagement. La deuxième mettait en avant les projets associatifs, menés par des étudiants qui, souvent en parallèle de leurs études, s’investissent activement pour concevoir des projets spatiaux. Et la dernière était dédiée à l’entrepreneuriat, avec des jeunes qui participent déjà à la structuration du secteur à travers leurs entreprises.

Ce format permettait une vraie dynamique : nous étions tous sur scène en même temps, ce qui a facilité les échanges. Même si certaines questions étaient destinées à une table ronde en particulier, elles étaient souvent ouvertes, ce qui permettait à chacun de rebondir et d’interagir au-delà de son propre cadre. On sentait une forme de dialogue réel, et parfois, on se reconnaissait dans les réponses des autres, même si nos parcours étaient différents.

Un autre moment marquant a été la prise de parole de deux lycéens, invités par l’Association des Amis de la Cité de l’Espace. Ils sont intervenus à la toute fin pour donner leur ressenti sur les discussions. C’était précieux de voir ce qu’ils avaient retenu, ce qui les avait touchés ou interpellés. Finalement, ce sont eux qui seront directement concernés par les messages que nous avons portés : ce sont les futures générations, celles qui entreront bientôt dans des études, qu’elles soient liées ou non au spatial. Et je pense qu’ils ont bien saisi qu’il était possible de contribuer à ce domaine, même sans y travailler directement.

ASTRES représenté à la table ronde “Sensibiliser” par Lisa Wong, pour porter la voix d’une génération engagée.

4. En tant que représentante d’ASTRES, quel message as-tu voulu faire passer à travers ta prise de parole ?

Mon premier objectif était de faire connaître ASTRES : son identité, ses missions et la vision qu’elle porte. L’association s’appuie sur des valeurs fortes comme l’engagement, la fédération d’une nouvelle génération de passionné·es, et la diversité des profils qui la composent, que ce soit en termes de parcours professionnels, d’origines, ou de sensibilités.

Je tenais aussi à expliquer concrètement ce que nous faisons, à travers nos neuf groupes de travail et les projets que nous menons collectivement. Un autre message essentiel était de montrer pourquoi on rejoint ASTRES : pour créer un espace d’expression, de réflexion partagée, mais aussi pour se sentir légitimes à prendre la parole dans le débat spatial. L’association joue un rôle clé à ce niveau, car elle donne cette légitimité, elle la soutient et la transmet, par sa présence dans des événements, par la visibilité de ses projets, ou encore par l’attention qu’elle suscite de la part d’acteurs reconnus du secteur.

Un point qui me tenait particulièrement à cœur, c’était d’expliquer comment nous portons cette voix des jeunes. Cela passe avant tout par le collectif : en favorisant les synergies entre membres, mais aussi en nouant des partenariats, on multiplie les espaces de réflexion et d’action. Ce sont les membres qui font vivre ASTRES, leurs motivations, leurs idées, leurs ambitions sont à l’origine des projets. ASTRES ne dicte pas une ligne, elle permet aux initiatives individuelles de prendre de l’ampleur et d’être partagées.

En résumé ce que j’ai voulu transmettre, c’est l’importance de la place des jeunes dans les réflexions stratégiques du secteur spatial. Leur présence permet au secteur de mieux comprendre les préoccupations des futurs acteurs : la durabilité, la diversité, la qualité de la formation, entre autres. Ce sont ces enjeux qui façonneront l’espace de demain.

5. Qu’est-ce que cette soirée a changé, ou confirmé, dans ta manière de concevoir l’engagement des jeunes dans le spatial ?

Cette soirée m’a permis de réaliser qu’il existe une multitude de façons de s’engager dans le secteur spatial. L’engagement peut se manifester à travers des associations, des approches techniques, des réflexions collectives, des tables rondes comme celle-ci, ou encore par la création d’entreprises. Bien sûr, ce sont les exemples qui ont été partagés lors de l’événement, mais il y en a bien d’autres.

Une autre chose qui a été confirmée pour moi, c’est l’importance de transmettre cet engagement aux jeunes, non pas nécessairement en les incitant à faire carrière dans le spatial, mais en démocratisant la culture spatiale. C’est un aspect fondamental pour ouvrir ce secteur à une plus large audience et permettre à chacun de s’impliquer à sa manière.

6. L’événement a-t-il permis de créer des ponts concrets ? Des idées de collaboration, de projets, des contacts à suivre ?

Oui, l’événement a été une belle opportunité pour faire connaître ASTRES, en particulier auprès des jeunes. Il y avait un public assez varié : des lycéens, des étudiants, mais aussi des familles. Après la table ronde, plusieurs personnes sont venues échanger avec nous sur notre stand. C’était très intéressant de discuter avec elles, de voir ce qu’elles avaient compris de notre démarche, parfois elles l’avaient bien perçue, parfois elles l’imaginaient différemment, et cela a ouvert de beaux échanges.

Nous avons aussi pu nous rapprocher des bénévoles de l’Association des Amis de la Cité de l’Espace. Catherine Le Cochennec, qui nous avait invités à participer à cette table ronde, a exprimé son enthousiasme et souhaite poursuivre une collaboration avec nous. Grâce à ce lien, nous avons été invités à intervenir sur Campus FM pour revenir sur l’événement. J’y ai participé avec Catherine et Éric, également membre de l’association organisatrice.

Une collaboration plus concrète est également en discussion entre cette association et notre groupe de travail “Culture spatiale” : l’idée serait d’organiser ensemble des événements destinés à sensibiliser un public plus large, en particulier les jeunes, aux enjeux du spatial. Cela aurait aussi du sens pour l’Association des Amis de la Cité de l’Espace, dont le public est actuellement composé en majorité de personnes retraitées. Notre participation pourrait contribuer à attirer une nouvelle génération et à diversifier les perspectives abordées.

Enfin, nous avons reçu une autre invitation de la part de l’équipe de la “Radio des Amis de l’Espace” pour intervenir lors de prochaines émissions sur Campus FM. Cela pourrait donner lieu à un projet régulier autour des sujets spatiaux, ce qui serait une très belle vitrine pour prolonger nos actions.

ASTRES à la rencontre du public pour transmettre la passion du spatial.

7. Selon toi, que faudrait-il améliorer pour que ce type d’événement gagne encore en impact ? Qu’est-ce qui manque encore aujourd’hui ?

Le sujet de la table ronde était, selon moi, extrêmement pertinent, et je pense que cela a été ressenti aussi bien par les membres d’ASTRES que par toutes les personnes invitées à y participer. C’est un thème qui est d’ailleurs activement traité au sein de notre groupe de travail “Culture spatiale”, mais aussi plus largement dans ASTRES, du fait même de l’identité de notre association.

Et pourtant, l’événement n’a pas suscité un grand engouement en termes de public. Cela révèle une difficulté persistante : celle de rendre le spatial plus accessible au grand public, alors même qu’il touche chacun d’entre nous. Cet écart montre que l’engagement dans ce domaine peut sembler plus difficile ou plus élitiste qu’il ne l’est en réalité, ce qui fait d’ailleurs pleinement écho aux discussions de la soirée.

On a tendance à croire que le spatial est réservé aux ingénieurs ou aux scientifiques, car il est très technique dans l’imaginaire collectif. Mais cet événement a montré qu’il peut aussi être abordé à travers d’autres prismes : culturels, éducatifs, entrepreneuriaux… Ce n’est pas un domaine réservé à une élite, et c’est un message à faire passer plus largement.

À ce titre, je tiens à saluer le travail de l’Association des Amis de la Cité de l’Espace. Ce qu’ils font pour engager les jeunes est vraiment précieux. Ils organisent différentes actions pour permettre à ceux qui sont simplement curieux ou passionnés de trouver une place, de s’impliquer à leur manière. Et c’est exactement ce genre d’initiatives qu’il faut encourager pour renforcer l’impact de ce type d’événements.

8. Enfin, si tu devais résumer en une phrase ce que les jeunes ont à dire au secteur spatial aujourd’hui… ce serait quoi ?

Les jeunes diraient au secteur spatial qu’il est temps de redéfinir ses priorités, de choisir des usages qui ont du sens pour nous en tant qu’êtres humains, sans se laisser entraîner dans une course aux ambitions floues ou discutables, car même si nous ne prétendons pas avoir toutes les réponses, nous savons qu’il est urgent de questionner les enjeux éthiques, environnementaux et sociétaux pour mieux décider où placer la barre.

Pour prolonger cet échange, vous pouvez retrouver Lisa Wong dans l’émission spéciale “Les jeunes et l’espace”, diffusée le 9 avril 2025 sur Campus FM. Elle intervient entre 10:10 et 12:30 pour revenir sur la table ronde et partager sa vision de l’engagement des jeunes dans le secteur spatial.

🔗 Écouter l’émission sur Vodio

Notre contribution à Space International

Le magazine spécialisé Space International fait la part belle aux réflexions de la jeunesse ! Toute l’année 2024, vous pouvez lire les résultats de nos travaux interGT, grâce à la confiance du rédacteur en chef Benoist Bihan et l’ensemble de l’équipe de Space International.

de gauche à droite: Léo Henquinet, Alix Guigné, Charlotte Berthoumieux

La collaboration initiée en juin 2023 a semblé évidente. Nés tous deux en mars, Space International et ASTRES partagent la vision d’un secteur spatial en pleine expansion, dont les aspects géopolitiques et stratégiques réclament plus d’attention que jamais. Il fut donc convenu lors des Assises du New Space – Saison 2, de mettre en lumière les réflexions de la jeune génération autour des thèmes suivants:

  • Comment développer et structurer un Conseil National de l’Espace en France ?
  • Comment soutenir l’industrie spatiale française et européenne d’ici 2040 ?
  • Quelles perspectives d’évolution des alliances spatiales à l’épreuve des transformations géopolitiques ?

Le numéro 5 comprend donc une interview de la co-fondatrice et présidente d’ASTRES, Sabrina Barré, pour retracer la genèse et les ambitions du collectif, ainsi que le premier article sur les fondements d’un Conseil National de l’Espace. Dans notre prospective, le Conseil National de l’Espace devient l’organe interministériel principal de coordination et de décision pour la mise en œuvre d’une stratégie spatiale française ambitieuse.

En juin, vous trouverez dans le numéro 6 les travaux sur la souveraineté industrielle spatiale. L’occasion de revenir sur la table-ronde organisée à la Sorbonne Nouvelle, “la culture du spatial dans notre quotidien et dans le futur de l’entreprise” avec François Buffenoir, Alban Guyomarc’h et Mathieu Luinaud.

Nos dernières réflexions sortiront dans le prochain numéro, en attendant à vos kiosques ! Vous pouvez aussi commander Space International ici.

Félicitations à tous les participants aux projets interGT, avec une mention spéciale pour Léo Henquinet (projet Conseil National de l’Espace), Alix Guigné et Washington George (projet Soutien à l’industrie) et Barnabé Andrieu-Coster (projet Alliances continentales), pour leur travail tout au long de l’année.

Un grand merci à Benoist Bihan et aux équipes de Space International pour l’opportunité exceptionnelle et leur confiance dès les premiers jours.

La Lettre A.STRES : l’Europe et les ressources spatiales

“Nous aussi nous pouvons le faire”

Déclaration de Jacques Blamont, premier directeur scientifique et technique du CNES, le 25 mai 1996.

Le dernier Forum Innovation Défense a mis le spatial à l’honneur tant dans les projets exposés que dans les conférences proposées. Lors de la table ronde “Vol habité/vol autonome européen” un des panélistes a évoqué la nécessité de fédérer les européens au travers du refus d’exploiter les ressources spatiales et a questionné ce qu’apporterait réellement l’autonomie en matière d’exploration spatiale européenne.

Le GT Exploration spatiale d’ASTRES s’est donc saisi de la thématique, afin d’apporter la voix de la jeunesse au débat. 

Alors que la nouvelle course à la Lune est en plein essor et que les américains et chinois mettent en œuvre leurs stratégies respectives pour y parvenir, certains européens ne semblent pas avoir esquissé de stratégie alignée avec la dynamique qu’impulse la nouvelle exploration spatiale. En effet, à l’exception du Luxembourg, il se pourrait que les acteurs européens manquent encore une fois un tournant industriel stratégique majeur. 

En effet, le retour quasi permanent de l’humanité sur la Lune et le voyage habité vers Mars ne se fera sans de lourdes infrastructures. Même si les premières missions Artemis prévoient d’amener depuis la Terre tout équipement nécessaire sur la Lune, le début de la décennie 2030 verra apparaître l’utilisation des ressources déjà présentes sur notre satellite pour rendre les missions plus économiques et durables. Qu’il s’agisse d’impression 3D du régolithe lunaire, de la production d’ergols, ou encore de stockage d’énergie solaire, l’ensemble des ressources présentes sur la Lune permettront d’ici quelques années de développer de nombreuses infrastructures sur place, sans avoir à les envoyer depuis la Terre. 

Le rapport d’information sur l’exploitation des ressources spatiales publié par la Délégation à la prospective du Sénat décrit parfaitement les enjeux et retombées possibles pour l’industrie spatiale européenne. 

  • Tout d’abord, l’exploitation des ressources spatiales serait un effet de levier majeur pour les industries françaises et européennes, tant dans l’encouragement à l’innovation que dans la création de nouveaux marchés. Dans le cas échéant, il ne faudra pas s’étonner de la fuite de certaines entreprises européennes stratégiques vers des états plus conciliants en la matière…
  • De plus, cela pourra donner lieu à des retombées économiques considérables du fait des synergies terrestres possibles (rovers autonomes) et des applications mixtes (Maana Electric et ses panneaux solaires à base de régolithe ou de sable du désert).
  • Souvent oublié, mais l’impact environnemental serait important car combiné à d’autres services (réparation, MCO….), les ressources spatiales permettraient une diminution drastique des lancements aujourd’hui nécessaires depuis la Terre1 en ravitaillant en ergols produits in-situ les atterrisseurs lunaires ou en produisant des infrastructures sur la Lune grâce aux ressources qui s’y trouvent.”

L’Europe en tant que puissance normative pourrait réglementer l’exploitation des ressources spatiales sous l’angle de la durabilité

Comme le rappelle le rapport d’information du Sénat, il est donc urgent de commencer à réfléchir aux modalités d’attribution et d’exploitation de ces ressources. Par exemple en délimitant les “règles d’attribution (licences, quotas, etc.), pouvoirs de contrôle, régime fiscal, assurance, responsabilité, transparence et publicité des données, sécurité, et protection de l’environnement”.

C’est pourquoi, au sein du GT Exploration Spatiale d’ASTRES, nous sommes convaincus qu’une Europe pouvant amener ses propres astronautes sur la Lune en totale souveraineté ne peut se faire sans une stratégie claire et ambitieuse sur l’utilisation des ressources spatiales. C’est dans ce but que nous appelons les acteurs institutionnels et privés français à avancer dans ce sens car dans 50 ans, l’utilisation du régolithe pour les activités lunaires nous paraîtra comme une évidence, au même titre qu’aujourd’hui faire un trajet en voiture équipé de bidons d’essence pour faire le plein plutôt que passer par une station essence nous semble absurde.

A l’aube d’une nouvelle ère d’exploration spatiale, comment la jeunesse française peut-elle souscrire à des renoncements qui n’ont pas été ceux de ses aînés au lendemain de la Seconde guerre mondiale ?

Thomas Delhon et Sabrina Barré pour le GT Exploration Spatiale, 27 novembre 2023. 

  1. A titre de comparaison, la mission Artemis 3 nécessitera l’envoi de près de 20 Starships. (https://spacenews.com/starship-lunar-lander-missions-to-require-nearly-20-launches-nasa-says/) ↩︎

Interview : “Espace et Nucléaire” avec Grégoire Lambert, Framatome Space

Etats-Unis, Chine, Russie et récemment le Royaume Uni, tous membres du Conseil de Sécurité de l’ONU au même titre que la France, se sont positionnés sur le développement de capacités nucléaires spatiales. 

Comme l’énergie nucléaire, l’industrie spatiale connaît un intérêt renouvelé partout dans le monde et l’humanité est prête à s’embarquer dans une nouvelle ère du voyage spatial. La NASA a dévoilé ses objectifs de la Lune à Mars qui visent une présence humaine prolongée sur la lune d’ici 2030 et une première mission vers Mars d’ici 2040. L’Europe, via son Agence spatiale européenne (ESA), a participé au programme ARTEMIS de la NASA et vise maintenant une souveraineté accrue ainsi que le développement de capacités de lancement de missions spatiales habitées. Le tourisme spatial ou l’utilisation commerciale des capacités spatiales se sont rapidement développées au cours des dernières années, sous l’égide d’entreprises privées offrant un accès commercial à l’espace à des prix acceptables et faisant du rêve du voyage dans l’espace une réalité pour quelques-uns.

Comme sur Terre, l’accès à une énergie sûre, fiable et en continu est clé pour permettre tout développement. 

Chez Framatome, nous sommes persuadés que cette future exploration spatiale peut être facilitée ou améliorée par l’énergie nucléaire.

Framatome travaille depuis plusieurs années pour l’industrie spatiale en fournissant des dômes pour les réservoirs des lanceurs et de l’hafnium pour les alliages durcis des engins spatiaux. Nous avons pu aussi soutenir des développements en mettant à disposition nos moyens d’essais et nos compétences.

Sur le nucléaire spatial nous avons déjà des activités en Europe et aux Etats Unis. Framatome soutient le CEA et le Groupe Ariane avec une étude de faisabilité sur un moteur à propulsion thermonucléaire. Nous avons participé à une première phase sur la fabricabilité du combustible aux Etats-Unis. La capacité à concevoir et fabriquer des combustibles nucléaires est clé et nous ne sommes pas nombreux à avoir cette connaissance et compétence.  

Depuis plus de six décennies, nos équipes conçoivent, construisent et entretiennent la chaudière nucléaire de centrales dans le monde entier. Nous avons été présents à chaque étape du processus sur tous les types de technologies de réacteurs. Framatome est également engagé dans l’avenir de la production d’énergie nucléaire, depuis les réacteurs de troisième génération aux réacteurs avancés et aux petits réacteurs modulaires (SMR). Nous travaillons aujourd’hui en particulier sur les réacteurs avances qui montrent de fortes similitudes et qui partageront des briques technologiques avec les réacteurs pour un usage spatial.

C’est l’ensemble de ces capacités que nous souhaitons mettre au service de l’industrie spatiale pour atteindre ses nouveaux objectifs.

Au-delà des applications de propulsion, quelle place pour l’énergie nucléaire dans les futurs enjeux de la logistique spatiale et des bases habitées ? 

Comme sur Terre l’accès à une énergie sûre, fiable et en continu est clé pour permettre tout développement. L’énergie nucléaire répond à ce besoin. Elle permet d’une part de réduire les temps de trajets et donc de limiter l’impact sur la santé des astronautes et d’autre part de fournir de l’énergie nécessaire à tous services sur une base déportée lunaire., Les panneaux solaires y sont peu efficaces du fait d’une nuit lunaire qui dure 14 jours terrestres avec des températures atteintes très faibles.

Les produits Framatome adresseront ils d’abord à des agences spatiales, au milieu militaire, ou à des acteurs commerciaux ? 

Avec la création de Framatome Space, Framatome se tient prêt à jouer un rôle décisif dans l’avenir de l’exploration spatiale et met ses 65 ans d’expertise nucléaire et industrielle au service de l’industrie spatiale pour permettre aux missions de gagner en rapidité et en efficacité.

La marque Framatome Space a pour objectif de positionner Framatome en tant que partenaire de choix de l’ensemble des acteurs de l’espace pour rendre possibles leurs nouveaux challenges et en fonction de leurs besoins qui seront tous spécifiques.

Comment Framatome perçoit la concurrence sur ce marché du nucléaire spatial ? Quels atouts à faire valoir devant celle-ci ? 

Depuis plus de six décennies, nos équipes conçoivent, construisent et entretiennent la chaudière nucléaire de centrales dans le monde entier. Nous avons été présents à chaque étape du processus sur tous les types de technologies de réacteurs. Framatome est également engagé dans l’avenir de la production d’énergie nucléaire, depuis les réacteurs de troisième génération aux réacteurs avancés et aux petits réacteurs modulaires (SMR). Nous travaillons aujourd’hui en particulier sur les réacteurs avancés qui montrent de fortes similitudes et qui partageront des briques technologiques avec les réacteurs pour un usage spatial.

En plus d’être un industriel présent à toutes les étapes de la chaine jusqu’à la fabrication des équipements et leurs qualifications nous avons un atout précieux qui est notre capacité à concevoir et fabriquer du combustible. Par exemple notre division CERCA est le premier fournisseur mondial de combustible nucléaire et de cibles d’uranium pour les réacteurs de recherche, et notre joint-venture Isogen est spécialisée dans la production de radioisotopes dans les réacteurs de puissance commerciaux CANDU.

D’après vous, la commande publique (française, européenne) permettra-t-elle à Framatome et ses partenaires industriels de pérenniser la filière du nucléaire spatial ? 

L’Europe est en train de construire sa feuille de route industrielle et se concentre aujourd’hui sur sa capacité à développer des RPS (radioisotope power system). Les réflexions autour des réacteurs à fission commencent. Framatome participe aux programmes européens ESA (European Space Agency) sur de premières études sur la propulsion nucléaire au coté du CEA et d’Ariane Group.

Framatome à travers sa marque Framatome Space pourrait apporter des solutions à certains défis techniques, rassurer sur la capacité européenne et faciliter les décisions.

Projet RocketRoll

ou “pReliminary eurOpean reCKon on nuclEar elecTric pROpuLsion for space appLications” est un projet d’étude des avantages de la propulsion nucléo-électrique (NEP)  de l’ESA (2023).

Projet ALUMNI

ou “preliminAry eLements on nUclear therMal propulsioN for space applIcations” est un projet d’étude des avantages de la propulsion nucléo-thermique (NTP)  de l’ESA (2023).

Envisagez-vous à terme une coopération avec des startups ou PME émergentes du domaine spatial ou du domaine nucléaire ? 

Nous développons par ailleurs des relations avec les start-ups du New Space qui, elles aussi, étudient comment s’approvisionner en énergie. Nous espérons concrétiser rapidement ces premiers échanges.  L’innovation est une composante forte de l’ADN de Framatome. Chaque jour, nous innovons pour proposer de nouvelles solutions et services pour gagner en compétitivité et en sûreté d’exploitation.

D’après vous, quels seront les besoins RH dans cette filière nucléaire spatiale d’ici 2040 ? 

Aujourd’hui il y a peu de lien entre les deux domaines. Nous voulons constituer une passerelle à un moment où les deux sujets de l’énergie et de l’espace passionnent jeunes générations mais pas que. L’annonce de Framatome Space réveille le rêve d’enfance de bons nombres de nos collaborateurs.

Les compétences initiales à avoir sont proches et donc un passage d’un domaine à l’autre est possible et si on peut travailler dans les deux domaines en même temps, c’est passionnant.

Nous sommes en 2040 : comment imaginez-vous les apports de Framatome dans l’aventure d’exploration spatiale européenne ? 

Framatome souhaite être à bord. Les programmes en Europe vont se concrétiser et nous souhaitons y contribuer et les faciliter. Ensuite Framatome n’est pas que européen et nous pourrons accompagner d’autres pays en faisant valoir les compétences françaises.

Pour rappel, l’Alliance Stratégique des Étudiants du Spatial a pour but d’organiser et de stimuler la réflexion stratégique jeune autour du spatial français. Ses 8 groupes de travail investissent des thématiques d’avenir et contribue à la démocratisation de celles-ci, comme par exemple l’usage de l’énergie nucléaire dans l’espace. 

Avez-vous un mot pour la jeunesse du secteur spatial français ? 

Les enjeux spatiaux sont immenses et passionnants. Les enjeux énergétiques liés d’une part au changement climatique mais aussi aux tensions géopolitiques actuelles font prendre conscience de l’importance et de la capacité de l’énergie nucléaire. Nous souhaitons participer à construire ce futur et faire le pont entre nos domaines. Les jeunes générations ont la chance de pouvoir participer. Elles peuvent choisir un des domaines ou les deux en même temps.

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