Encourager l’approche Security by design

Bastien Coudray et Elisa Deschamps, Juin 2023

Security by design

Avec la nouvelle industrie spatiale, les mentalités changent. La conception et le développement des équipements spatiaux évoluent. Certaines entreprises du Newspace spécialisées n’hésitent pas à construire leur système à partir de zéro pendant que d’autres réutilisent la logique des solutions terrestres en l’améliorant pour l’espace. Il est parfois difficile de mettre à jour un logiciel, de refaire le développement d’application ou de revoir la conception du système afin de l’adapter en termes de sécurité.

Aujourd’hui, la tendance est beaucoup plus ouverte et plus moderne sur les sujets de la cybersécurité dans le spatial. La nouvelle économie émergente en provenance du Newspace apporte une approche sur l’adoption d’une sécurité dès la conception. L’idée est que la sécurité doit être prise en compte dès le départ. Ainsi, en étudiant les risques et les vulnérabilités dès le début du projet, ça permet de faire un plan d’évaluation des risques qui pourra être mise à jour à chaque fois qu’il y a une modification ou un changement dans la conception. Ce processus va permettre d’avoir un regard sur les conséquences du point de vue de la sécurité.

Nos recommandations

Dans l’industrie, il n’y a pas de solution miracle pour protéger les systèmes contre les cyberattaques qui exploitent les vulnérabilités. Beaucoup d’attaques dans le secteur spatial sont généralement dues à des mesures de sécurité qui ne sont pas mises en place et pas assez prises en compte à certains niveaux. Pour nous, l’approche de la sécurité dès la conception définit une assurance sur la sécurité durant toute la durée de vie du projet en comprenant les mesures de sécurité, la construction et la sécurisation des données. En suivant ces principes, le spatial peut s’assurer des bases solides et se projeter vers un avenir plus résilient. C’est pourquoi l’industrie du spatial doit faire les bons choix avant d’envoyer les équipements et aussi de prendre en compte les différentes étapes de cette approche. Voici quelques points importants à retenir :

  • Réalisation du plan de conception et d’évaluation de risque avec l’identification des actifs, la mise en place d’une analyse approfondie et un processus type de risque
  • Il est important de penser aux normes, aux certifications et au cadre européen.
  • On ne peut pas assurer la sécurité si on ne sait pas pourquoi on la met. Il faut absolument connaître les risques, les phases de développement ainsi que les phases d’exploitation liées aux clients.
  • On peut parler du Zero Trust, de défense en profondeur, de cyber range, de TTPs
  • Beaucoup d’attaques dans le secteur spatial sont généralement dues à des mesures de sécurité qui ne sont pas mises en place et pas assez prises en compte à certains niveaux.
  • Les audits de sécurité de code ou d’intrusion sont vitaux pour s’assurer de l’implémentation et du bon fonctionnement des mesures de sécurité.
  • La veille technologique du produit permet de garder le cap sur le cycle de vie du produit.

Un Information Sharing and Analysis Center Européen

Clara BOURDON, Elisa BROCHARD, Ny Antsa RABEZANAHARY, Juin 2023

ISAC, Information Sharing and Analysis Center

Nous sommes aujourd’hui confrontés à une situation où les acteurs spatiaux européens ne disposent pas d’une souveraineté et d’une autonomie stratégique pleine et entière en matière de cybersécurité dans le cadre de leurs activités. En effet, les principales plateformes d’échange, de partage d’information et d’analyse en matière de risque cyber pour le domaine spatial ne profitent pas aux acteurs de l’industrie spatiale européenne et échappent au champ d’influence légal et politique des institutions européennes.

Les Information Sharing and Analysis Center (ISAC Space), qui rassemblent des acteurs influents de l’industrie spatiale, tels que les agences gouvernementales, les entreprises, les organisations de recherches et les universités, sont en effet tous hébergés sur le territoire des États-Unis. Cette mainmise américaine est renforcée par le Cloud Act, qui autorise les autorités américaines à accéder aux données stockées par des fournisseurs de services basés aux États-Unis, même si ces données sont situées en dehors du territoire américain.

Pourtant, ces données produites dans les ISAC Space sont cruciales pour la sécurité des infrastructures et des opérations spatiales car ce sont des lieux de coopérations et d’échanges où se développent et se coordonnent les bonnes pratiques en matière de cybersécurité dans l’espace. L’inaccessibilité des acteurs industriels européens aux données de ces centres pose des difficultés importantes pour nos entreprises qui constatent des manques et des besoins flagrants sur le plan de la cybersécurité.

Cependant, comme Thales s’est attelée à le démontrer durant sa démonstration de cyberattaque sur un satellite de l’ESA lors du CYSAT, la cybersécurité s’est imposée rapidement comme un enjeu vital à maîtriser pour les entreprises européennes dans l’exercice de leurs activités spatiales. Il est donc nécessaire d’encourager cette dynamique et de la soutenir par l’intermédiaire de solutions européennes souveraines, solides et autonomes, ce qui passe notamment par la création d’un ISAC européen.

Nos recommandations

Afin de permettre la mise en place d’un équivalent européen de l’ISAC (information sharing and analysis center), à savoir une structure favorisant la collaboration et l’échange d’informations entre les différents pays membres de l’Union Européenne en matière de cybersécurité spatiale, plusieurs points doivent êtres respectés :

  • Premièrement, il est nécessaire de faire preuve d’un engagement politique fort : les pays membres doivent comprendre (et reconnaître) l’importance de l’échanges d’informations et de la cybersécurité. Nous devons renforcer la résilience collective afin d’avoir un engagement en faveur de la coopération et de la création d’un ISAC européen. La Commission européenne ayant dores et déjà évoqué la création d’un tel centre dans sa stratégie spatiale de défense et de sécurité, ASTRES souhaite que les efforts continuent et qu’une vraie stratégie soit mise en place. 
  • La coopération transfrontalière joue également un rôle prédominant dans la construction de ce projet, il est donc important d’impliquer et d’encourager la participation des différents acteurs pertinents, tels que les gouvernements nationaux, les agences de cybersécurité, les entreprises privées, les organisations de recherche et les utilisateurs finaux. La création d’un ISAC européen favorisera la compétitivité des entreprises européennes et nous permettra de tenir davantage têtes aux géants du secteur comme les Etats-Unis (permettant par exemple le rapatriement des données sur le sol européen).
  • De plus, la législation ainsi que la réglementation européenne doivent permettre d’encourager cette démarche de partage d’informations entre les différents acteurs européens, créant des lois claires et simples à mettre en place.
  • Enfin, la mise en place et le bon fonctionnement d’un ISAC à l’échelle européenne doit inévitablement nécessiter un financement adéquat (allouement de fonds collectifs).

Un ISACinformation sharing and analysis center, est un cyber center qui a pour but de faciliter la collaboration et d’améliorer la cyberdéfense d’un secteur. Concernant l’industrie spatiale, il existe le Space ISAC, un ISAC américain auquel toute entreprise européenne peut souscrire mais dont les données sont stockées chez des hébergeurs américains. Ainsi, grâce au Cloud Act, ces informations peuvent être accessibles au gouvernement américain. ASTRES soutient donc la création d’un ISAC d’initiative européenne qui permettrait une souveraineté européenne sur les données liés à la cybersécurité des entreprises de l’industrie spatiale et une amélioration de ses capacités de défense.

La Commission européenne dans sa stratégie spatiale de défense et de sécurité à déjà évoqué l’idée de la création d’un centre. Nous souhaitons donc la mise en place de cette mesure et insistons sur l’importance d’intégrer les acteurs privés de l’industrie spatiale européenne afin qu’ils puissent profiter de cet atout en matière de défense.

L’objectif clé

Donner les clefs à nos entreprises européennes pour devenir des leaders dans l’industrie spatiale

Mieux étudier l’impact des lancements sur l’environnement

Charline Coudry et Damien Baclet, Juin 2023

La régulation des lancements, un signal fort à envoyer au secteur spatial

Entre 2021 et 2022, le nombre de lancements a explosé, augmentant de 28%. Les méga constellations de télécommunication en sont le premier facteur, tractant une multitude d’autres applications en pleine croissance. Dans le même temps, très peu d’études et de normes existent concernant l’impact environnemental du secteur. Les lancements, phase visible de cette chaîne globale d’émissions, n’échappent pas à la règle. 

A l’instar du voisin aéronautique, l’argument de l’infime rôle du secteur dans les émissions mondiales se retrouve régulièrement à propos du spatial. Il est cependant encore plus faux dans ce cas. Même si, en effet, l’impact du spatial sur le climat est infime, environ 10% du secteur aérien, il va connaître une croissance beaucoup plus importante et donc potentiellement rattraper rapidement l’aviation. De plus, cet argument ne prend pas en compte les conséquences sur la biodiversité, catastrophiques à côté des bases de lancements, et pouvant influer à un niveau plus global. Prendre de l’avance en entamant les discussions sur de potentielles régulations est donc un sujet important et actuel.

L’absence de régulations, environnementales ou non, à propos des activités spatiales, se comprend à plusieurs niveaux. Historiquement, l’Espace est un champ militaire, et qui dit activités militaires, dit également absence de normes environnementales. Plus récemment, l’Espace est le théâtre d’une course à la croissance qui n’incite absolument pas à l’atténuation des émissions mais plutôt à l’innovation, la production et l’industrialisation. Enfin, depuis le début du monopole militaire jusqu’au théâtre économique actuel, personne ne connaît réellement l’impact des activités spatiales sur l’environnement. Comment convaincre sans argumentaire scientifique tangible et accepté de tous ? Cette connaissance de ses propres émissions est cruciale pour entraîner de profonds changements.

Réguler le spatial, quantifier son impact est nécessaire, mais par où commencer ? Si une approche systémique est la plus à même de limiter les émissions du secteur, elle ne peut s’appliquer sans des précédents, des régulations pionnières pour créer une dynamique en faveur de la prise en compte de ces enjeux dans les activités spatiales. S’intéresser à l’impact du lancement, c’est envoyer un signal fort à l’ensemble des acteurs du secteur et au grand public. Commencer par réguler ce qui est évident, visible, et qui concerne chaque entreprise du spatial. Même si cela ne suffit évidemment pas, c’est un premier pas nécessaire.

Recommandations

  • Premièrement, de vastes programmes de recherches sont à financer à propos de l’impact du secteur, et particulièrement de la phase de lancement. Si la France a été leader du marché commercial pendant de nombreuses années, une façon de regagner ce leadership et d’en insuffler sa transformation en comprenant mieux les technologies à prioriser. 
  • Deuxièmement, une entité nouvelle doit se constituer afin de porter la régulation des lancements à l’échelle internationale. Rattachée au COPUOS ou indépendante, ce consortium devra être composé de nations, d’entreprises, de scientifiques afin d’aboutir à des résultats de référence à même d’infléchir les programmes de l’industrie du lanceur mondiale. Pour les discussions, s’inspirer des Accords de Paris et du Protocole de Montréal est un bon point de départ pour transposer la norme environnementale aux activités extra-atmosphériques.

Des actions doivent être entreprises dès maintenant pour atténuer les atteintes des activités spatiales sur la biodiversité et le climat. Ces actions engendreront dans le même temps la viabilité de ces activités, dans un monde nouveau où une innovation nocive pour la planète ne doit plus être proposée. 

User du spatial dans la lutte contre le changement climatique

Charline Coudry et Damien Baclet, Juin 2023

Le citoyen, le spatial et le climat

En mai 2023, la NASA dévoilait une vidéo édifiante permettant de visualiser les émissions de CO2 ainsi que leur origine. La mission Orbiting Carbon Observatory-2, parmi tant d’autres, institutionnelles ou commerciales, contribue à la connaissance précise des phénomènes climatiques. Le spatial est ainsi un outil de compréhension indispensable des changements auxquels notre planète fait face et de la responsabilité de l’Homme dans ces processus. Cependant, le grand public ne le perçoit pas toujours comme tel, la qualifiant d’industrie ultra-polluante et de terrain de jeu d’ultra-riches. Ce sentiment populaire peut, s’il persiste et se renforce, mettre en danger l’ensemble du secteur et les bénéfices sociétaux de ce dernier.

ASTRES a réalisé un sondage auprès d’un public non-spécialiste afin d’y cerner la vision du secteur et de ses enjeux. Une injonction régulière était que le spatial était une industrie des plus polluantes. Cela est vrai, des premières actions de régulation sont d’ailleurs nécessaires (voir la proposition “Mieux étudier l’impact des lancements sur l’environnement”). La surreprésentation de cette réponse comparée à la rareté du rôle du secteur dans la lutte contre le réchauffement climatique interroge. 

En 2019, suite à l’initiative du CNES, le Space Climate Observatory est officiellement lancé. Il a pour rôle de contribuer à l’adaptation des territoires par la mutualisation des outils développées par la filière et les données spatiales. Ainsi, il peut entraîner la compréhension par le grand public de l’utilité du spatial dans la crise climatique. La poursuite des efforts concernant la publication et la divulgation de l’apport du spatial pour le climat est nécessaire à travers les informations du Space Climate Observatory. C’est à travers ces actions que le grand public peut prendre conscience que le spatial n’est pas qu’une industrie mais aussi la clé de notre compréhension des changements environnementaux. Cela peut également permettre un nouvel engouement citoyen pour l’Espace au service de la Terre et pas que pour l’exploration lointaine. 

Créer un engouement populaire autour du spatial est primordial pour la dynamique du secteur. Le rêve de l’exploration spatiale est nécessaire pour cela mais ne suffit plus, les citoyens n’y attachant plus la même importance si cela se fait en brûlant notre propre planète. Convaincre que le spatial est un rêve mais surtout une nécessité sur Terre doit être une priorité. Le SCO a tout pour devenir l’ambassadeur de cette mission, à condition qu’il gagne en notoriété.

RTG, l’électricité française de l’espace

par Antoine Chesne, Juin 2023

Une source stable d’énergie pour les missions longues

Les générateurs radioélectriques à radio-isotopes (RTG) produisent de l’électricité à partir de la désintégration naturelle d’un isotope radioactif. En se désintégrant, les atomes émettent de l’énergie sous forme de chaleur, qui est convertie en électricité par effet Seebeck à travers des couples thermoélectriques. Contrairement à un réacteur nucléaire, il n’y a pas de réaction en chaîne.

Les RTG permettent de produire de l’électricité indépendamment de l’environnement extérieur sur de très longues périodes : leur durée de vie dépend de la durée de demi-vie de l’isotope utilisé. Les RTG peuvent ainsi fonctionner de façon stable pendant plusieurs décennies sans ravitaillement, pour maintenir opérationnels les instruments embarqués.

Les RTG conviennent bien aux sondes interplanétaires, aux rovers, et à tout vaisseau devant fonctionner longtemps avec une puissance électrique modérée.En résumé, les RTG correspondent bien à l’adage italien “chi va piano va lontano”.

Le point faible des RTG est leur faible puissance massique (en W/kg), qui limite leur usage. Il n’est pas possible d’alimenter en électricité un vaisseau habité ou un radar actif avec un RTG. L’intérêt pour la propulsion électrique est aussi limité.

La première brique du nucléaire spatial

Les RTG ont été mis au point dans les années 1960, puis adoptés pour les premières missions d’exploration lunaires et interplanétaires. Depuis les sondes Pioneer et Voyager, toutes les sondes allant au-delà de la ceinture d’astéroïdes sont équipées de RTG (à cette distance le flux solaire est insuffisant pour alimenter correctement des panneaux solaires). Les RTG sont aussi prisés pour les atterrisseurs martiens car les panneaux solaires ont tendance à être recouverts de sable lors des tempêtes. Enfin, il est aussi possible d’utiliser des petits RTG à bord d’instruments embarqués : les astronautes du programme Apollo ont ainsi déposé des instruments de mesure sur la Lune dotés de RTG.

Le combustible

Il existe plusieurs isotopes pouvant être utilisés pour faire fonctionner du RTG. Les critères de choix sont la durée de demi-vie, la puissance massique (W/kg), et le niveau de rayonnement émis, pour protéger l’environnement proche on évitera des isotopes émettant un fort rayonnement gamma ou un flux de neutron trop fort par exemple. Les bons candidats sont répertoriés ci-dessous : 

Jusqu’à présent, les sondes spatiales ont utilisé le Plutonium 238, disponible grâce aux programmes d’enrichissement militaire et qui constitue un bon compromis entre sa durée de vie et sa puissance tout en ayant un rayonnement peu dangereux et facile à neutraliser sans alourdir le système.

Une technologie indispensable mais à l’avenir incertain

Avec l’apparition de systèmes robotiques, d’outils de surveillance et de mesure sur la Lune, Mars ou les astéroïdes, les RTG seront indispensables pour assurer sur de longues périodes une fourniture d’électricité stable et sûre.

Mais paradoxalement, leur avenir est compromis par le manque de combustible disponible. Les stocks d’isotopes, principalement produits durant la guerre froide s’amenuisent et ne sont pas renouvelés. A très court terme, Etats-Unis et Russie devraient être en pénurie de Plutonium 238, tandis que les programmes nucléaires des autres pays n’ont pas permis d’en disposer en quantité suffisante.

Sans relancer les programmes nucléaires civils, notamment pour la recherche, l’exploration spatiale risque de ne pas pouvoir compter sur des RTG adaptés au-delà de 2030.

Quelle stratégie pour la France ?

La France, tout comme les autres pays européens, n’a jamais produit de RTG spatiaux. Mais plus que ses voisins, elle dispose de tout le savoir-faire nécessaire grâce à la filière nucléaire (CEA, Orano, TechnicAtome, etc…). A l’heure actuelle, l’ESA privilégie le développement de RTG à l’Americium 241, pouvant être produit facilement et à un coût raisonnable grâce aux usines de retraitement du plutonium (comme Mélox d’Orano à Marcoule). Après un premier programme lancé en 2009 et la validation du concept avec des pastilles tests, il est nécessaire de poursuivre les recherches pour disposer de RTG made in France à l’horizon 2030.

De plus, avec un site de lancement, Kourou, sur le territoire qui réduit la problématique de la prolifération sur Terre, la France doit avoir le leadership dans le domaine des RTG en Europe, en étant une alternative crédible aux Etats-Unis et à la Russie.

Recommandations

Accélérer les projets lancés par l’ESA d’un RTG basé sur l’Américium 241 pour disposer à l’horizon 2030 d’un générateur permettant l’exploration de l’espace lointain et les missions de longue durée à la surface des corps célestes (Lune, Mars…)

Sécuriser la disponibilité de l’Américium 241 en France : grâce à l’usine Mélox de Marcoule, la France est le seul pays d’Europe à pouvoir isoler facilement du Plutonium 241, qui se transforme en Americium 241 après quelques années. La France aura alors à moindre frais un quasi-monopole mondial des RTG une fois les stocks de Pu238 américains et russes épuisés

Alimenter la Lune en énergie

par Inès Llorens et Damien Baclet, Juin 2023

L’alimentation énergétique des appareils et infrastructures présents sur la Lune

La conquête spatiale reprenant sa course effrénée, la Lune redevient l’un des objectifs principaux de l’exploration spatiale. Deux tendances se dessinent : les États-Unis révèlent leur volonté d’installer des astronautes sur la Lune avec le programme Artémis, et la Chine affiche son désir de développer une base lunaire. L’Europe se positionne comme partenaire du Lunar Gateway, programmé par les États-Unis. La planification d’une présence durable sur la Lune est révélée et à terme sur Mars. Cela nécessite le déploiement de solutions énergétiques. Cette orientation soulève un enjeu majeur : l’alimentation énergétique des appareils et infrastructures présents sur la Lune. L’exploitation énergétique lunaire est confrontée à de nombreux défis qu’il est possible de mettre en lumière. Les contraintes liées à l’environnement lunaire constituent une difficulté : la poussière et la nuit lunaire qui correspond à 14 jours solaires (336 heures). Le coût est un obstacle majeur, l’envoi de matériaux sur la Lune étant extrêmement onéreux, une optimisation des matériaux est requise. 1 kilogramme envoyé équivaut à plusieurs centaines de milliers de dollars. 

Trois dimensions principales sont à souligner pour une alimentation énergétique sur la Lune 

La production d’énergie est possible sur notre satellite sous différentes formes. Une production nucléaire serait permise par les petits réacteurs modulaires. La filiale Rolls Royce SMR révèle la stratégie britannique de développer le nucléaire spatial. Par ailleurs, une production solaire est réalisable avec la construction de centrales solaires à la surface lunaire. Maana Electric est un acteur majeur projetant d’utiliser des ressources in situ pour la production de panneaux solaires. Ce projet est déjà en cours sur terre. 

L’emploi de panneaux solaires en orbite est une alternative. Ces-derniers correspondent au Space Solar Based Power. Puis, le stockage de l’énergie doit répondre à la contrainte de la nuit lunaire. Celle-ci entraîne des conditions climatiques difficiles et un gradient extrême de températures pour les matériaux et le moyen de stockage. Un potentiel de développement de batteries existe et commence à être saisi par certains acteurs tels qu’Air Liquid. 

Enfin, l’infrastructure et le transport sont le dernier défi à relever pour un développement énergétique lunaire. Ce transport peut être réalisé par câbles, entraînant la question du transport des matériaux ainsi que leur mise en place malgré les contraintes. Le projet Aurora-Connect a pour but d’élaborer des connecteurs spécifiques résistants à la poussière et sans genre, facilitant leur déploiement. Aussi, la distribution d’énergie sans fil est une autre possibilité avec un transport de l’énergie par ondes électromagnétiques en créant un lunar grid. Les startups EMROD et PowerLight projettent de développer cette technologie fondée sur le beaming. Selon la stratégie de la NASA, la transmission d’énergie sans fil sera adoptée à court et moyen terme, le temps de réaliser des câbles in-situ.

La France doit s’inscrire dans les défis d’énergie sur la Lune et affirmer sa place sur l’échiquier des Accords Artémis. La thématique de l’énergie sur la Lune est cruciale car elle constitue une force pour l’énergie sur Terre puis pour Mars. Les solutions disruptives développées pour la Lune ont un fort potentiel d’application pour la Terre qui nécessite des réponses innovantes.

Il est crucial qu’un signal politique fort soit porté sur les technologies énergétiques lunaires. Une feuille de route doit être dessinée pour donner une vision de la stratégie française et européenne pour l’exploration lunaire. Puis, une régulation de l’exploitation des ressources doit être affirmée, en particulier avec la prépondérance des acteurs commerciaux dans le domaine de l’énergie sur la Lune.