Créer des laboratoires pour les ressources spatiales

Thomas Delhon, Juin 2023

L’exploitation des ressources spatiales 

Notre ère marque une transition majeure dans l’exploration spatiale. L’émergence du Newspace, caractérisée par une multitude d’acteurs privés innovants, a ouvert de nouvelles perspectives pour l’exploitation des ressources spatiales. Ces ressources comprennent de l’eau, des métaux, de l’oxygène et d’autres matières premières présentes sur la Lune, les astéroïdes et autres corps célestes. Les avantages potentiels de l’exploitation de ces ressources sont nombreux, allant du ravitaillement en orbite pour les missions spatiales à l’alimentation des industries terrestres en éléments rares.

Cependant, pour que ces possibilités profitent pleinement à la France, il est impératif de renforcer les capacités de recherche, de développement et d’innovation dans ce domaine. C’est dans ce cadre que nous recommandons l’établissement d’un centre national d’études sur les ressources spatiales, qui pourrait permettre à la France d’être un leader du domaine.

Objectifs et fonctionnement 

Ce centre national d’études sur les ressources spatiales pourrait être un organisme multidisciplinaire rassemblant des experts de divers domaines tels que la géologie, la physique, la chimie, l’astrophysique, et l’ingénierie spatiale. Ses principaux objectifs seraient les suivants :

  • Recherche et développement : Le laboratoire mènerait des études approfondies sur les caractéristiques des ressources spatiales, leur abondance, leur distribution géographique et leurs applications potentielles. Les chercheurs développeraient de nouvelles technologies et méthodes pour l’exploration, l’extraction et l’utilisation efficaces de ces ressources.
  •  Innovation technologique : Le laboratoire favoriserait la collaboration entre les acteurs industriels, les universités et les centres de recherche afin de stimuler l’innovation et de développer de nouvelles technologies adaptées à l’exploitation des ressources spatiales. Des partenariats public-privé seraient encouragés pour accélérer la mise sur le marché de ces innovations.
  • Formation et sensibilisation : Le laboratoire jouerait un rôle central dans la formation des futurs experts du secteur des ressources spatiales. Des programmes éducatifs seraient développés en collaboration avec les universités et les établissements d’enseignement supérieur afin de former une nouvelle génération de scientifiques et d’ingénieurs spécialisés dans ce domaine émergent.
  • Coordination et soutien : Le laboratoire servirait de plateforme centrale pour la coordination des activités liées aux ressources spatiales au sein de l’écosystème Newspace français. Il faciliterait les échanges de connaissances, la collaboration entre les différentes parties prenantes et le soutien aux startups et aux entreprises dans la mise en œuvre de leurs projets.

La création d’un centre national d’études sur les ressources spatiales renforcerait considérablement la position de la France en tant qu’un des leaders mondiaux dans le domaine de l’exploitation des ressources spatiales. En investissant dans la recherche et le développement de technologies innovantes, la France serait en mesure de capitaliser sur les opportunités économiques et scientifiques offertes par l’exploitation des ressources extraterrestres. En travaillant de concert (startups, groupes industriels, partenaires publics…), nous pourrions ouvrir de nouvelles frontières et transformer l’industrie spatiale française en un moteur d’innovation et de croissance durable.

Une stratégie européenne pour les ressources spatiales

Thomas Delhon

Favoriser une stratégie européenne des Ressources Spatiales

L’exploitation des ressources spatiales, connue sous le nom d’ISRU (in-situ resources utilization), a une longue histoire qui remonte aux missions Apollo. Ces missions ont marqué les premières tentatives de ramener des ressources spatiales sur Terre, avec un total d’environ 382 kilogrammes rapportés sur Terre. Même si l’URSS et plus récemment la Chine ont également extrait et rapporté des échantillons, l’utilisation des ressources spatiales aura davantage d’applications directement dans l’espace, plutôt qu’en les ramenant sur Terre.

Les ressources spatiales disponibles sont diverses, et accessibles sur différents corps célestes. Sur la Lune, par exemple, on trouve des régions constamment plongées dans l’ombre au pôle sud où de l’eau permettant de produire de l’oxygène et de l’hydrogène peut être présente. Le régolithe lunaire, présent sur toute la surface de la Lune, contient des métaux tels que le fer et l’aluminium, ainsi que de l’oxygène exploitable. Ces ressources peuvent être utilisées pour soutenir la vie et faire du ravitaillement en carburant, ainsi que pour la fabrication d’habitats spatiaux. En plus de nécessiter moins d’énergie que les ressources lunaires, certains astéroïdes contiennent également des ressources intéressantes, notamment de l’eau et des métaux. Pouvant être utilisés pour les mêmes raisons que les ressources lunaires. De plus, des métaux rares (métaux platinoïdes notamment) essentiels à l’industrie pouvant être amenés à manquer dans les prochaines décennies, peuvent s’y trouver et y être exploités.

Des tendances récentes ont donné un nouvel élan à l’exploration et à l’exploitation des ressources spatiales. 

La concurrence entre les États-Unis et la Chine pour revenir sur la Lune a accéléré le développement de toute la chaîne de valeur des ressources lunaires car la Lune est considérée pour ces acteurs comme une étape cruciale avant d’atteindre des destinations plus lointaines, telles que Mars.

La possibilité d’extraire et d’utiliser les ressources lunaires faciliterait grandement ces futures missions en ravitaillant en ressources les véhicules spatiaux utilisés. 

Concernant les astéroïdes, des acteurs privés crédibles, tels qu’Origin Space en Chine, ou TransAstra et AstroForge aux Etats-Unis sont apparus ces dernières années et suscitent un intérêt croissant. 

De plus, l’oxygène extrait des astéroïdes nécessitant moins d’énergie que celui de la Lune pour des applications en orbite, il sera moins cher et ainsi davantage convoité pour des missions spatiales lointaines.

Cependant, plusieurs obstacles entravent actuellement l’exploitation des ressources spatiales

Le droit spatial international interdit l’appropriation des ressources spatiales, bien que certains pays aient adopté des lois nationales pour contourner ces contraintes, notamment les États-Unis, la Chine, le Luxembourg et les Émirats arabes unis. Pour les ressources lunaires, se poser et décoller de la Lune nécessitera un stock d’ergols dédié à cette tâche, ainsi que de la logistique développée. En ce qui concerne les astéroïdes, ces derniers ne sont pas encore suffisamment bien connus en termes de propriétés physiques et chimiques, et leur exploitation nécessitera des missions plus longues et des véhicules spatiaux dont les technologies sont encore à développer.

La France et l’Europe ont des enjeux importants dans le domaine des ressources spatiales. Avec le retour de l’humanité sur la Lune prévu d’ici la fin de la décennie et les perspectives d’établissement de bases lunaires, de voyages vers Mars et au-delà, une nouvelle ère de l’exploration spatiale s’ouvre. Jusqu’à présent, l’Europe a été discrète dans ses ambitions d’exploration spatiale habitée, contrairement aux États-Unis et la Chine qui consacrent d’importants budgets à ces initiatives. 

>> Cette exploration spatiale future sera infaisable sans l’utilisation de ressources spatiales, dont on estime les besoins à plusieurs centaines de tonnes par an d’ici 2040 : une simple mission habitée vers la Lune sans cargo nécessitera environ 25 tonnes d’ergols nécessaires à ravitailler. Dans cet objectif, l’Agence spatiale européenne (ESA) prévoit de produire 45 tonnes d’oxygène liquide sur la Lune à partir de 2032.

Si l’Europe et ses états membres ne s’impliquent pas dans ce marché émergent des ressources spatiales via une stratégie commune, elles risquent de perdre leur renommée actuelle et leur présence dans l’espace à long terme, se retrouvant reléguées au second plan derrière la NASA et l’Administration spatiale nationale chinoise (CNSA). 

Par conséquent, il est crucial de favoriser une stratégie européenne des ressources spatiales, de promouvoir la recherche et le développement dans ce domaine, et de mettre en place les lois et les partenariats nécessaires pour assurer la participation active de la France et de l’Europe dans le futur de l’exploitation spatiale.