Le 19 mars dernier, la Cité de l’Espace accueillait une soirée dédiée à la vision des jeunes sur l’évolution du spatial. Lisa Wong, responsable du GT Exploration Spatiale et ancienne Secrétaire de l’association ASTRES, y représentait notre collectif. Elle revient pour nous sur les échanges, les enjeux soulevés, et les perspectives à venir.
1. Lisa, quel regard portes-tu sur l’événement du 19 mars, maintenant que quelques semaines ont passé ?
La table ronde organisée par la Commission Jeune de l’Association des Amis de la Cité de l’Espace a été une très belle expérience. J’ai tout d’abord été ravie de rencontrer Catherine Le Cochennec, qui a organisé la table ronde et qui manifeste un véritable intérêt pour l’initiative portée par ASTRES. L’événement portait sur la place des jeunes dans le secteur spatial, un thème qui fait clairement écho à notre démarche au sein de l’association.
Ce moment d’échange m’a également permis de découvrir d’autres parcours : des personnes engagées dans le spatial, mais de manière très différente de la mienne ou complémentaire. C’était enrichissant de voir cette diversité de passions, de projets, d’ambitions. Cela reflète bien l’évolution actuelle du secteur spatial, qui devient de plus en plus ouvert et multiple.
2. Quels types de discours ou de préoccupations sont ressortis de la part des jeunes présents ?
Nous étions neuf jeunes à participer à cette table ronde, tous engagés dans le spatial, que ce soit à travers des associations ou par la création d’entreprises. Ce qui a marqué, c’est que l’engagement dans le secteur spatial naît souvent d’une véritable passion, pas forcément via un parcours académique classique, ni uniquement en tant qu’ingénieur ou scientifique. C’est un point sur lequel tout le monde semblait s’accorder.
Le spatial offre aussi des expériences uniques, qui donnent envie de s’impliquer dès les premières étapes, parfois même avant d’entrer dans le monde professionnel. C’est un domaine technique, certes, mais qui s’ancre aussi dans des enjeux globaux qui concernent l’ensemble de l’humanité. Un autre aspect important qui a émergé, c’est le rôle de la proximité géographique avec les acteurs du spatial : beaucoup étaient basés à Toulouse, qu’il s’agisse d’associations ou d’entreprises. Une start-up, par exemple, avait un pied à Toulouse et un autre aux États-Unis, pour des raisons stratégiques liées à l’accès aux partenaires et aux contrats.
En termes de préoccupations, deux grands thèmes ont dominé : la militarisation de l’espace, fortement réactivée par le contexte international actuel, et les enjeux éthiques. On a beaucoup parlé d’écologie, aussi bien sur Terre qu’en orbite. Une start-up comme Heiwa, par exemple, travaille sur la gestion des ressources en eau et la surveillance des menaces hydriques. Enfin, la question de la pollution spatiale a également été très présente dans les échanges, notamment avec la montée en puissance d’acteurs privés comme Starlink et d’autres opérateurs américains.
3. As-tu perçu un véritable dialogue entre les générations, étudiants, startups, industriels, acteurs publics ? Ou restait-on dans des logiques parallèles ?
Lors de cette soirée, la majorité des intervenants venaient du monde étudiant ou de jeunes start-ups. Mais ce qui m’a frappée, c’est à quel point leurs expériences étaient complémentaires. Cela se voyait déjà dans la manière dont la table ronde avait été construite : trois séquences distinctes avaient été proposées.
La première portait sur la sensibilisation des jeunes au spatial, principalement via l’éducation et les premières formes d’engagement. La deuxième mettait en avant les projets associatifs, menés par des étudiants qui, souvent en parallèle de leurs études, s’investissent activement pour concevoir des projets spatiaux. Et la dernière était dédiée à l’entrepreneuriat, avec des jeunes qui participent déjà à la structuration du secteur à travers leurs entreprises.
Ce format permettait une vraie dynamique : nous étions tous sur scène en même temps, ce qui a facilité les échanges. Même si certaines questions étaient destinées à une table ronde en particulier, elles étaient souvent ouvertes, ce qui permettait à chacun de rebondir et d’interagir au-delà de son propre cadre. On sentait une forme de dialogue réel, et parfois, on se reconnaissait dans les réponses des autres, même si nos parcours étaient différents.
Un autre moment marquant a été la prise de parole de deux lycéens, invités par l’Association des Amis de la Cité de l’Espace. Ils sont intervenus à la toute fin pour donner leur ressenti sur les discussions. C’était précieux de voir ce qu’ils avaient retenu, ce qui les avait touchés ou interpellés. Finalement, ce sont eux qui seront directement concernés par les messages que nous avons portés : ce sont les futures générations, celles qui entreront bientôt dans des études, qu’elles soient liées ou non au spatial. Et je pense qu’ils ont bien saisi qu’il était possible de contribuer à ce domaine, même sans y travailler directement.

ASTRES représenté à la table ronde “Sensibiliser” par Lisa Wong, pour porter la voix d’une génération engagée.
4. En tant que représentante d’ASTRES, quel message as-tu voulu faire passer à travers ta prise de parole ?
Mon premier objectif était de faire connaître ASTRES : son identité, ses missions et la vision qu’elle porte. L’association s’appuie sur des valeurs fortes comme l’engagement, la fédération d’une nouvelle génération de passionné·es, et la diversité des profils qui la composent, que ce soit en termes de parcours professionnels, d’origines, ou de sensibilités.
Je tenais aussi à expliquer concrètement ce que nous faisons, à travers nos neuf groupes de travail et les projets que nous menons collectivement. Un autre message essentiel était de montrer pourquoi on rejoint ASTRES : pour créer un espace d’expression, de réflexion partagée, mais aussi pour se sentir légitimes à prendre la parole dans le débat spatial. L’association joue un rôle clé à ce niveau, car elle donne cette légitimité, elle la soutient et la transmet, par sa présence dans des événements, par la visibilité de ses projets, ou encore par l’attention qu’elle suscite de la part d’acteurs reconnus du secteur.
Un point qui me tenait particulièrement à cœur, c’était d’expliquer comment nous portons cette voix des jeunes. Cela passe avant tout par le collectif : en favorisant les synergies entre membres, mais aussi en nouant des partenariats, on multiplie les espaces de réflexion et d’action. Ce sont les membres qui font vivre ASTRES, leurs motivations, leurs idées, leurs ambitions sont à l’origine des projets. ASTRES ne dicte pas une ligne, elle permet aux initiatives individuelles de prendre de l’ampleur et d’être partagées.
En résumé ce que j’ai voulu transmettre, c’est l’importance de la place des jeunes dans les réflexions stratégiques du secteur spatial. Leur présence permet au secteur de mieux comprendre les préoccupations des futurs acteurs : la durabilité, la diversité, la qualité de la formation, entre autres. Ce sont ces enjeux qui façonneront l’espace de demain.
5. Qu’est-ce que cette soirée a changé, ou confirmé, dans ta manière de concevoir l’engagement des jeunes dans le spatial ?
Cette soirée m’a permis de réaliser qu’il existe une multitude de façons de s’engager dans le secteur spatial. L’engagement peut se manifester à travers des associations, des approches techniques, des réflexions collectives, des tables rondes comme celle-ci, ou encore par la création d’entreprises. Bien sûr, ce sont les exemples qui ont été partagés lors de l’événement, mais il y en a bien d’autres.
Une autre chose qui a été confirmée pour moi, c’est l’importance de transmettre cet engagement aux jeunes, non pas nécessairement en les incitant à faire carrière dans le spatial, mais en démocratisant la culture spatiale. C’est un aspect fondamental pour ouvrir ce secteur à une plus large audience et permettre à chacun de s’impliquer à sa manière.
6. L’événement a-t-il permis de créer des ponts concrets ? Des idées de collaboration, de projets, des contacts à suivre ?
Oui, l’événement a été une belle opportunité pour faire connaître ASTRES, en particulier auprès des jeunes. Il y avait un public assez varié : des lycéens, des étudiants, mais aussi des familles. Après la table ronde, plusieurs personnes sont venues échanger avec nous sur notre stand. C’était très intéressant de discuter avec elles, de voir ce qu’elles avaient compris de notre démarche, parfois elles l’avaient bien perçue, parfois elles l’imaginaient différemment, et cela a ouvert de beaux échanges.
Nous avons aussi pu nous rapprocher des bénévoles de l’Association des Amis de la Cité de l’Espace. Catherine Le Cochennec, qui nous avait invités à participer à cette table ronde, a exprimé son enthousiasme et souhaite poursuivre une collaboration avec nous. Grâce à ce lien, nous avons été invités à intervenir sur Campus FM pour revenir sur l’événement. J’y ai participé avec Catherine et Éric, également membre de l’association organisatrice.
Une collaboration plus concrète est également en discussion entre cette association et notre groupe de travail “Culture spatiale” : l’idée serait d’organiser ensemble des événements destinés à sensibiliser un public plus large, en particulier les jeunes, aux enjeux du spatial. Cela aurait aussi du sens pour l’Association des Amis de la Cité de l’Espace, dont le public est actuellement composé en majorité de personnes retraitées. Notre participation pourrait contribuer à attirer une nouvelle génération et à diversifier les perspectives abordées.
Enfin, nous avons reçu une autre invitation de la part de l’équipe de la “Radio des Amis de l’Espace” pour intervenir lors de prochaines émissions sur Campus FM. Cela pourrait donner lieu à un projet régulier autour des sujets spatiaux, ce qui serait une très belle vitrine pour prolonger nos actions.

ASTRES à la rencontre du public pour transmettre la passion du spatial.
7. Selon toi, que faudrait-il améliorer pour que ce type d’événement gagne encore en impact ? Qu’est-ce qui manque encore aujourd’hui ?
Le sujet de la table ronde était, selon moi, extrêmement pertinent, et je pense que cela a été ressenti aussi bien par les membres d’ASTRES que par toutes les personnes invitées à y participer. C’est un thème qui est d’ailleurs activement traité au sein de notre groupe de travail “Culture spatiale”, mais aussi plus largement dans ASTRES, du fait même de l’identité de notre association.
Et pourtant, l’événement n’a pas suscité un grand engouement en termes de public. Cela révèle une difficulté persistante : celle de rendre le spatial plus accessible au grand public, alors même qu’il touche chacun d’entre nous. Cet écart montre que l’engagement dans ce domaine peut sembler plus difficile ou plus élitiste qu’il ne l’est en réalité, ce qui fait d’ailleurs pleinement écho aux discussions de la soirée.
On a tendance à croire que le spatial est réservé aux ingénieurs ou aux scientifiques, car il est très technique dans l’imaginaire collectif. Mais cet événement a montré qu’il peut aussi être abordé à travers d’autres prismes : culturels, éducatifs, entrepreneuriaux… Ce n’est pas un domaine réservé à une élite, et c’est un message à faire passer plus largement.
À ce titre, je tiens à saluer le travail de l’Association des Amis de la Cité de l’Espace. Ce qu’ils font pour engager les jeunes est vraiment précieux. Ils organisent différentes actions pour permettre à ceux qui sont simplement curieux ou passionnés de trouver une place, de s’impliquer à leur manière. Et c’est exactement ce genre d’initiatives qu’il faut encourager pour renforcer l’impact de ce type d’événements.
8. Enfin, si tu devais résumer en une phrase ce que les jeunes ont à dire au secteur spatial aujourd’hui… ce serait quoi ?
Les jeunes diraient au secteur spatial qu’il est temps de redéfinir ses priorités, de choisir des usages qui ont du sens pour nous en tant qu’êtres humains, sans se laisser entraîner dans une course aux ambitions floues ou discutables, car même si nous ne prétendons pas avoir toutes les réponses, nous savons qu’il est urgent de questionner les enjeux éthiques, environnementaux et sociétaux pour mieux décider où placer la barre.
Pour prolonger cet échange, vous pouvez retrouver Lisa Wong dans l’émission spéciale “Les jeunes et l’espace”, diffusée le 9 avril 2025 sur Campus FM. Elle intervient entre 10:10 et 12:30 pour revenir sur la table ronde et partager sa vision de l’engagement des jeunes dans le secteur spatial.
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