par Damien Baclet et Inès Llorens, Juin 2023
Space-Based Solar Power, une réalité ?
“It was quiet in the officer’s room of Solar Station #5, except for the soft purring of the mighty Beam Director somewhere far below”.“Le silence régnait dans la salle des officiers de la station solaire n° 5, à l’exception du doux ronronnement du puissant Beam Director, quelque part en bas.”
Isaac Asimov
En 1941, dans sa nouvelle Reason, Isaac Asimov imagine une station récoltant l’énergie solaire et la distribuant sur Terre et sur d’autres corps colonisés. 80 ans plus tard, les nations fortes du spatial multiplient les programmes à propos du Space-Based Solar Power et laissent à penser que cette nouvelle serait bien plus qu’une science-fiction. Des panneaux pour récolter l’énergie solaire, des ondes afin de la transporter sur Terre et un réseau d’antennes convertissant le tout en électricité, cela sans le recours aux énergies fossiles dans la phase d’opération. La recette est connue, des études d’un tel concept sont récurrentes à l’échelle de l’histoire du spatial : les crises pétrolières de la décennie 1970, puis la hausse exponentielle de la demande énergétique depuis la fin du siècle dernier ont poussé les agences spatiales et les organismes de défense à en étudier la faisabilité, à commencer par les Etats-Unis, mais pas seulement.
Quoique techniquement imaginable, la rentabilité économique était alors impensable. L’Advanced Concept Team de l’ESA concluait en 2008 qu’en Europe, la compétitivité d’un tel projet pourrait advenir à partir de 2025. 2025, soit la date où cette même ESA doit statuer sur un investissement pour le développement du SBSP, à la suite des travaux du programme SOLARIS, voté à la dernière ministérielle de 2022.
Deux facteurs expliquent l’emballement actuel à propos des projets de Space-Based Solar Power : la crise énergétique et la baisse du coût de l’accès à l’espace. Si le premier suffit à comprendre que la demande existe, le second est crucial en ce qu’il constituait, il y a encore quelques années, quelques mois, le point de blocage du SBSP. Construire une station solaire requiert plusieurs milliers de tonnes en orbite. A 10000 €/kg dans les années 90, cela ne pouvait être réaliste. Avec un prix de 200-1000 €/kg, cela l’est nettement plus.
Face à l’essor de tels projets aux quatre coins du globe, quelle doit être l’approche française ? Doit-elle s’inscrire dans une démarche collective européenne ? La spécificité du nucléaire français nous dispense-t-elle d’un tel investissement ? Les externalités spatiales et terrestres d’un tel programme seront-elles majeures ?
Source d’énergie abondante, pilotable et non-fossile, le SBSP est aussi un potentiel vecteur de la souveraineté énergétique européenne. Européenne, voilà qui est rare quand il est question de politique énergétique et encore plus de production. Si ces questions sont à la base même de la création et du développement de l’Union avec la CECA, il n’existe plus de consensus stratégique sur la question, en témoignent les débats sur la taxonomie verte et le nucléaire face au gaz. Un consensus à propos du SBSP peut relancer une dynamique positive entre voisins européens, à condition que l’Union Européenne soutienne le projet au plus tôt.
Certains pourraient avancer que, dotée du nucléaire, la France n’a pas d’intérêt dans ces projets, possédant déjà cette nécessaire baseload décarbonée. Cependant, l’électrification de nombreux secteurs ainsi que la politique française de mix énergétique nécessite différentes sources abondantes. Investir dans une seconde baseload, accompagnant l’éternel conflictuel nucléaire, est une sécurité impérative. De plus, le bénéfice français à tirer du SBSP ne se limite pas à l’électricité produite sur Terre.
Les externalités sont nombreuses. Le power beaming, ou la transmission d’énergie par ondes micro-ondes, est amené à se développer pour diverses applications, civiles et militaires : localités isolées sur Terre, alimentation en continue des aéronefs, alimentation de bases en orbite ou sur la Lune. Airbus est impliqué dans le développement de la technologie est pourrait devenir un leader du domaine. L’in-orbit servicing and assembly est également nécessaire à tout projet de SBSP et se duplique à de nombreuses applications duales terrestres, orbitales ou lunaires.
Enfin, un tel projet créerait une forte demande pour un lanceur super-lourd européen, une aubaine pour ArianeGroup ? S’inscrire dans une dynamique européenne de SBSP permettra donc à la France d’assurer sa sécurité énergétique bas-carbone et de tirer des bénéfices technologiques, stratégiques et économiques majeurs.
Les technologies citées plus haut, indispensable au déploiement du Space-Based Solar Power, sont aussi vecteur de souveraineté. C’est donc en investissant collectivement dans le Space-Based Solar Power qu’une souveraineté européenne deviendra possible, et inversement…
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