La Lettre A.STRES : l’Europe et les ressources spatiales

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“Nous aussi nous pouvons le faire”

Déclaration de Jacques Blamont, premier directeur scientifique et technique du CNES, le 25 mai 1996.

Le dernier Forum Innovation Défense a mis le spatial à l’honneur tant dans les projets exposés que dans les conférences proposées. Lors de la table ronde “Vol habité/vol autonome européen” un des panélistes a évoqué la nécessité de fédérer les européens au travers du refus d’exploiter les ressources spatiales et a questionné ce qu’apporterait réellement l’autonomie en matière d’exploration spatiale européenne.

Le GT Exploration spatiale d’ASTRES s’est donc saisi de la thématique, afin d’apporter la voix de la jeunesse au débat. 

Alors que la nouvelle course à la Lune est en plein essor et que les américains et chinois mettent en œuvre leurs stratégies respectives pour y parvenir, certains européens ne semblent pas avoir esquissé de stratégie alignée avec la dynamique qu’impulse la nouvelle exploration spatiale. En effet, à l’exception du Luxembourg, il se pourrait que les acteurs européens manquent encore une fois un tournant industriel stratégique majeur. 

En effet, le retour quasi permanent de l’humanité sur la Lune et le voyage habité vers Mars ne se fera sans de lourdes infrastructures. Même si les premières missions Artemis prévoient d’amener depuis la Terre tout équipement nécessaire sur la Lune, le début de la décennie 2030 verra apparaître l’utilisation des ressources déjà présentes sur notre satellite pour rendre les missions plus économiques et durables. Qu’il s’agisse d’impression 3D du régolithe lunaire, de la production d’ergols, ou encore de stockage d’énergie solaire, l’ensemble des ressources présentes sur la Lune permettront d’ici quelques années de développer de nombreuses infrastructures sur place, sans avoir à les envoyer depuis la Terre. 

Le rapport d’information sur l’exploitation des ressources spatiales publié par la Délégation à la prospective du Sénat décrit parfaitement les enjeux et retombées possibles pour l’industrie spatiale européenne. 

  • Tout d’abord, l’exploitation des ressources spatiales serait un effet de levier majeur pour les industries françaises et européennes, tant dans l’encouragement à l’innovation que dans la création de nouveaux marchés. Dans le cas échéant, il ne faudra pas s’étonner de la fuite de certaines entreprises européennes stratégiques vers des états plus conciliants en la matière…
  • De plus, cela pourra donner lieu à des retombées économiques considérables du fait des synergies terrestres possibles (rovers autonomes) et des applications mixtes (Maana Electric et ses panneaux solaires à base de régolithe ou de sable du désert).
  • Souvent oublié, mais l’impact environnemental serait important car combiné à d’autres services (réparation, MCO….), les ressources spatiales permettraient une diminution drastique des lancements aujourd’hui nécessaires depuis la Terre1 en ravitaillant en ergols produits in-situ les atterrisseurs lunaires ou en produisant des infrastructures sur la Lune grâce aux ressources qui s’y trouvent.”

L’Europe en tant que puissance normative pourrait réglementer l’exploitation des ressources spatiales sous l’angle de la durabilité

Comme le rappelle le rapport d’information du Sénat, il est donc urgent de commencer à réfléchir aux modalités d’attribution et d’exploitation de ces ressources. Par exemple en délimitant les “règles d’attribution (licences, quotas, etc.), pouvoirs de contrôle, régime fiscal, assurance, responsabilité, transparence et publicité des données, sécurité, et protection de l’environnement”.

C’est pourquoi, au sein du GT Exploration Spatiale d’ASTRES, nous sommes convaincus qu’une Europe pouvant amener ses propres astronautes sur la Lune en totale souveraineté ne peut se faire sans une stratégie claire et ambitieuse sur l’utilisation des ressources spatiales. C’est dans ce but que nous appelons les acteurs institutionnels et privés français à avancer dans ce sens car dans 50 ans, l’utilisation du régolithe pour les activités lunaires nous paraîtra comme une évidence, au même titre qu’aujourd’hui faire un trajet en voiture équipé de bidons d’essence pour faire le plein plutôt que passer par une station essence nous semble absurde.

A l’aube d’une nouvelle ère d’exploration spatiale, comment la jeunesse française peut-elle souscrire à des renoncements qui n’ont pas été ceux de ses aînés au lendemain de la Seconde guerre mondiale ?

Thomas Delhon et Sabrina Barré pour le GT Exploration Spatiale, 27 novembre 2023. 

  1. A titre de comparaison, la mission Artemis 3 nécessitera l’envoi de près de 20 Starships. (https://spacenews.com/starship-lunar-lander-missions-to-require-nearly-20-launches-nasa-says/) ↩︎

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